mardi, mai 03, 2011

J'appartiens

Il parait que ceux qui font face au choix de partir ou de rester sont mus par deux besoins différents, souvent complémentaires, parfois opposés, parfois confondus, parfois abstraits, le besoin d’appartenance et le besoin de liberté.
Certains veulent appartenir à leur cité. Ils veulent connaitre ses rues, son boulanger. Ses églises. Ses mosquées. Ses écoles. Ils veulent parler la langue dont ils raffolent. Côtoyer les filles du village. Passer les dimanches en famille. Faire des enfants pour qu’ils grandissent comme eux ont grandi. Dans les bois et la prairie. Mettre l’enfant rebelle chez sa grand-mère. Pour qu’elle le gâte et lui raconte la jeunesse de son père. Retrouver leurs amis d’enfance dans le bar d’habitude. Conduire et haïr l’embouteillage et les bouchons. Regarder le journal de vingt heures. Insulter la politique des dictateurs. Se dire qu’ils quitteront ce maudit pays à jamais. Et remettre le projet… à plus tard. A demain. A jamais.
A leur pays. Ils appartiennent.
D’autres préfèrent le sentiment de liberté. Non. Je corrige. Ils ne le choisissent jamais. Car la liberté n’est pas un choix. La liberté n’est même pas un besoin. Elle est là. Elle existe. On veut la chasser parfois. Mais elle subsiste.
Ceux-ci ne sont pas plus chanceux. Ils naissent avec dans le regard comme un éclair malicieux. Ils prennent des risques. Ils respirent le changement. Ils se lassent vite. Ils rêvent d’océans. Souvent, ils veulent être Chateaubriand. Ou rien. Leurs ambitions les dépassent. Ils se foutent des autres. Ils se moquent des lois. Ils souffrent sans cesse de leur médiocrité. Une médiocrité fausse et exagérée qu’ils s’attribuent de façon erronée parce qu’ils sont juges sévères de leur propre destinée.
Ils courent les bois. Se blessent les doigts. Se font des cicatrices aux genoux. Ont souvent la dent de devant cassée à moitié. Réparée de justesse chez le dentiste du quartier. Ils veulent plus. Mieux. Encore. Plus fort. Plus intense… et s’enivre de l’excès.
J’ai toujours fait partie de ces derniers. J’ai voulu m’évader. D’abord dans mes rêves quand le voyage n’était pas encore une possibilité. Ensuite dans les mots quand j’ai découvert le plaisir de matérialiser par le langage des idées insensées. Puis à travers l’amour, l’amour comme idée. L’amour devait exister. Quitte à le créer.
Je devais être libre. Et le voyage m’a enfin été possible. Je me suis alors perdue dans les rues d’une ville qui ne me connaissait pas. Aux églises fermées au public. Aux enfants sans grand-mères. Aux routes parfaites sans embouteillage. A la langue étrangère. Au journal qui m’indiffère. Aux villages citadins. Au peuple anodin.
Le plaisir fut davantage sublimé par le fait que le voyage ne m’a pas fait pour autant perdre mes autres libertés. Les mots. Les robes. Les rêves. L’amour.
Aujourd’hui dans l’avion entre le Liban qui m’habite et Londres que j'habite, à mi-chemin entre l’éveil et la rêverie, je me demandai soudain, comme une question brutale qui ne m’avait encore jamais effleuré l’esprit, si j’avais vraiment été esclave de mon besoin avide de liberté au prix de l’appartenance.
Je vécus quelques secondes de tourment.
Quelques secondes seulement.
Car je réalisai vite que la liberté, la vraie, n’était pas à une frontière liée. Que ma liberté, à moi, je ne l’avais jamais créée. Elle était là. Née le même jour que moi. Du ventre d’une mère aussi audacieuse que moi. Et qu’elle n’avait pas été accrue dans une rue de l’Ouest de Londres.
Et surtout… surtout… que l’appartenance, elle, persistait toujours… et encore… parce que mon appartenance n’est pas à un pays. Elle n’est pas à mon groupe d’amis. Et mon appartenance, j’ose avouer, n’est même pas à ma famille. Même si je la lui dois.
Mon appartenance est à une chose belle et abstraite que j’emporte partout et qui ne pèse presque pas. Elle est à mes principes. A mes valeurs. A l’amour dans mon cœur. A mes rêves grandissant. A mes déceptions que je porte fière comme un tatouage sur la peau sous des soleils brulants. Mon appartenance est à une idée. Un rêve. Une identité. Que nulle mer ne saurait effacer.

7 commentaires:

Gracy Farah a dit…

Bouche bee!!!!!Ca me rappelle cette phrase:"I'm a free bird ,no one puts me in a cage"..On ne connait la valeur de la liberte que parfois qd on la perd.J'ai adore ton texte Karen ,j'aime ta facon de t'exprimer ..Bravo!Xxx

Karen Ayat a dit…

Merci Gracy ! Mes mots seraient si tristes sans toi, t'es ma seule lectrice fidele! :)
GROS BISOUS !!!

Ghada Reverdi a dit…

Extraordinaire! vous liez dans mes pensées Karen .... votre texet est très beau à lire , MERCI !

Karen Ayat a dit…

Merci a vous Ghada!
Merci de me lire et merci pour vos mots. Ils me rechauffent le coeur.

Mansour Dib a dit…

Karen
Je ne vous connais pas et je suis tombe sur votre blog par pur hasard !
Le choix des mots est delicieux, et vous y versez votre ame... j'ai tenu a vous remercier d'avoir ecrit ce texte qui fait vibrer nos ames nomades...

Mansour

Karen Ayat a dit…

Merci à vous Mansour, de me lire.
Savoir que mes sentiments sont partages me fait d'autant plus plaisir.
J'espere que vous continuerez a me lire, merci encore, Karen.

Anonyme a dit…

tres juste.