mercredi, février 28, 2007

Mes mots contre ton sourire

Un jour ou l’autre, nous sommes tous contraints à effectuer un choix, le plus dur peut-être, celui de la carrière. Bien que le travail ne soit pas un but en soi, il faut tout de même avouer que, de nos jours, il est bien difficile de pouvoir le qualifier d’autrement. Le travail permet, tout simplement, de vivre. Perfectionnistes, ambitieux, instruits et travailleurs nous voulons voir notre travail rémunéré ; ce qui est tout à fait légitime. La contrepartie du travail est essentiellement pécuniaire ; bien entendu.
Toutefois, les chanceux parmi nous connaissent une contrepartie de différente nature, une contrepartie morale, noble, sacrée. Non, ils ne sont point dotés de l’intention libérale. Ils n’effectuent pas non plus un service d’ami. Je parle des chanteurs, interprètes, romanciers, écrivains, journalistes qui travaillent pour le plaisir de la création. Je parle de ceux qui savent se détacher de l’ordinaire, prendre comme point de départ la senteur d’un parfum, choisir comme analogon la splendeur d’un spectacle pour nous emporter dans un monde différent, le leur, un monde vrai et inventé à la fois, un monde si vivant qu’on jurerait pouvoir le toucher, mais un monde inaccessible quand même. Je parle pour ceux qui savent chanter la vie, écrire l’amour, relater une vérité, propager la beauté.

Créer est un acte de générosité. L’œuvre artistique est une réflexion de son créateur, un objet unique, une vision personnelle, un message. Je parle pour ceux qui supportent toute mauvaise expérience pour l’état de transe qui lui succède. Réalité et imagination se mélangent, prennent pour point de départ la vie pour offrir aux autres les secrets d’un instant insolent de vérité. La valeur du produit littéraire réside dans le temps qui lui a été consacré, dans l’idée unique qui a été à son origine, dans le talent de l’artiste, dans son unicité, dans le plaisir qu’il procure à son destinataire, dans les sensations qu’il fait naître.
Un artiste, un vrai, n’est pas à la recherche du profit. Il trouve satisfaction dans un sourire qu’il provoque, dans une indignation, dans un bonheur qu’il fait naître, dans des larmes qui coulent. Un artiste, un vrai, sait choquer sans le vouloir, remarquer les détails de la vie, ceux qui la rendent belle, atteindre le cœur des destinataires et faire naître entre eux un sentiment de solidarité, de confiance, comme un chuchotement, comme un murmure, une phrase gentille qui dit : « j’ai vécu la même chose que toi. Comme toi, je suis passée par là.». Par sa voix, ses notes, ses mots, il transmet ce que les autres ressentent.
Tous les artistes sont sur un pied d’égalité. L’art, subjectif et personnalisé, ne peut être objectivement évalué. Je parlerai de l’écrivain, celui que je connais le mieux. Un écrivain écrit de, avec et pour sa passion. Elle le guide, l’envahit, l’inspire et le transporte. Elle fait couler les mots, elle les fait vivre, et leur permet d’exister. La passion réveille les sens, elle nous rend maladroit dans la vie, mais éloquent dans la parole. Un écrivain raconte sa vie par des phrases et des vers. Mais il raconte aussi les passions des autres. Toutes les vies se ressemblent. Un écrivain vole la vie de tous pour réussir la sienne. Il observe chaque mouvement, écoute chaque mot, et remarque tout mouvement. Sensible, il cherche dans le monde qui l’entoure sa prochaine histoire. Et dans le silence de la nuit, il dévoile des secrets qui ne sont pas toujours les siens à raconter. Dans le noir et le calme, il raconte le monde a sa façon, réinvente la vie, réinvente l’amour, libre de créer, détruire et transformer. Un écrivain trouve ses mots dans un sourire, il les puise d’un simple regard, et les lit dans une caresse. Les gens vivent, il écrit. Mais il ne faut pas croire qu’il est passif. Il est le plus actif de tous. Il est aussi acteur que les autres. Ecrire, c’est sa façon de vivre, sa façon d’exister. Mais il fait vivre les autres aussi. Il raconte leurs histoires. Ils partiront. Mais les histoires resteront. Non pas comme un souvenir, mais comme une preuve que la vie ne suffit pas.

L’œuvre créée appartient à son créateur. Son droit est exclusif, opposable aux tiers. Il comporte deux volets, l’un moral et l’autre commercial. En effet, il a le droit d’exploiter son œuvre et d’interdire toute tierce personne d’en tirer profit. Toutefois, la propriété intellectuelle et artistique n’est pas une propriété ordinaire, les biens concernés étant publics. Et contre ce droit à valeur croissante du fait de la valorisation de la propriété immatérielle, certains invoquent le principe de la libre circulation de l’information et le droit à tous d’être informés. Aussi, les avancées technologiques, notamment Internet, rendent facile cet accès et du coup la violation de ce droit supposé être sacré et digne de protection.
Les lois existent pour protéger celui qui a consacré son cœur, son temps, son expérience et son âme dans sa création. Elles ont été votées pour faire face au piratage, au vol, à la contrefaçon. Une législation permet en effet de permettre à l’artiste l’utilisation libre et exclusive de son œuvre. Car l’artiste a le droit de voir son œuvre lui être attribuée. Une protection existe donc. Mais son efficacité est contestée : l’accès est facile, les moyens sont nombreux et l’infraction presque… encouragée.
Toutefois, une solution ici s’impose. Elle apparaît impossible, certes, mais elle reste nécessaire. Car à défaut de remède, les artistes seraient découragés. Pourquoi se donneraient-ils à l’art quand ils ne peuvent le protéger ?
Nous assistons une fois de plus à un décalage alarmant entre le droit et le fait, la théorie et la pratique. Et la solution me semble unique et solitaire. Ma solution est utopique et bien trop idéale. Elle est naïve et optimiste. Elle est jolie quant à la forme, simple quant au fond. Elle nécessite un environnement approprié, une société qui valorise l’effort, le travail, la création, la propriété. Je vous propose la solution qui suit : le respect. Face à un désordre technologique et en attendant un moyen efficace de lutter contre ce fléau destructeur, l’écrivain ne peut compter que sur la société pour le secourir ou sinon arrêter d’écrire. Et moi je t’offre mes mots… contre ton sourire.

vendredi, février 16, 2007

Vous pouvez desormais acceder a mon site a travers l'adresse suivante: www.karenayat.com

Jamais banalisée

Nous réagissons face à tout phénomène nouveau. Nous nous méfions de l’inconnu. Nous nous protégeons de l’étranger. Nous nous indignons quand nous jugeons une chose contraire à nos mœurs ou incompatible avec nos valeurs.
Or quoi de plus alertant qu’une bombe. Quoi de plus choquant que des morts par dizaines au quotidien. Quoi de plus révoltant qu’un élève innocent soit assassiné du seul fait qu’il ait choisi d’emprunter, comme tous les jours, à la même heure, son bus d’habitude pour se rendre à la fac. Quoi de plus triste qu’une femme soit tuée alors qu’elle avait choisi un moyen pratique et économique pour pouvoir visiter sa mère. Quoi de plus dégoûtant qu’un homme ait perdu la vie en se dirigeant au travail pour la gagner. Quoi de plus déprimant qu’un adolescent ayant fait confiance en l’Etat et en la sécurité qu’il instaure en choisissant ses services publics ait été gravement blessé.
Ce sont des images vues à la télé, des images de citoyens libanais, des images de libanais innocents, pacifiques, impuissants, victimes. Ce sont des images comme tant d’autres, qui relatent explosions, décès, sang, pleurs, orphelins, injustice. Des images qui se répètent inlassables, se faisant à chaque fois plus violentes, plus tragiques, plus cruelles mais surtout plus normales. Oui, normales. A force d’observer bombes et crimes, le paysage s’est fait habituel, la scène sans grande importance, la mort facile.
L’habitude de la mauvaise nouvelle a eu pour effet de la banaliser. Il suffit de zapper, de changer le cours de la discussion, de penser à autre chose, de détourner le regard afin que l’image disparaisse. La mort s’est fait si fréquente qu’elle ne provoque plus la réaction qu’elle mérite. Impuissant, le citoyen libanais semble accepter son sort et restreindre la gravité du problème.
Il m’est facile de zapper. Plus difficile de réagir. Je sais ma réaction pathétique et minime. Mais je n’ai pas le droit d’habituer mes yeux à ses crimes. Même répétés, ils ne feront jamais partie du domaine de l’admissible. Même en quantité, ils ne reflèteront jamais mon quotidien libanais. Même anonymes, ils n’échapperont jamais au jugement sage des bons citoyens que nous sommes. Tant que nous refusons de banaliser l’image véhiculée, nous ne serons pas en danger.


Article publie dans L'Orient Le Jour le samedi 17 fevrier 2007

mercredi, février 14, 2007

Décalée

On lui reproche souvent de lui avoir donné de faux espoirs. En s’intéressant à lui, souvent solitaire, en lui proposant sa compagnie, elle l’aurait induit en erreur et il aurait cru à tort voir en ses yeux l’amour qu’il éprouvait à son égard. On lui reproche surtout le fait qu’il soit le seul à aimer. Car souvent, on est tenté de se mettre du coté de celui qui aime. Toutefois, la personne aimée n’a pas toujours cherché à l’être et ne devrait être considérée responsable du malheur de l’autre. L’amour n’est pas toujours un sentiment pur et altruiste. L’amour est souvent jaloux, destructeur, possessif et égoïste. Et c’est de cet amour qu’elle souffrait. Un amour… nul.
Une autre femme doit subir les conséquences de sa beauté. Du fait qu’elle soit belle, blonde et élégante, elle doit sans cesse prouver intelligence et bonté. Elle cherche à montrer des imperfections qui ouvriraient la voie à l’amitié. Car son harmonie apparente plait peu (ou beaucoup) à son entourage et diminue sa crédibilité.
Une jeune femme a le regard naïf et le sourire innocent. Tous les hommes qu’elle fréquente lui avouent avoir été attirés par ce coté pur qui est le sien. Ils lui parlent du monde pour le lui faire découvrir. Elle, qui le connaît du bout des doigts.
Un homme semble heureux de son mariage et fier de ses enfants. En parallèle, c’est une autre vie qu’il mène, une vie d’adolescent qu’il aurait dû avoir dépassée il y a longtemps.
Il y a la façade. Et il y a surtout une réalité… décalée.

dimanche, février 04, 2007

Le couple et la societe

Au Liban comme ailleurs, peut-être un peu plus au Liban et dans les cultures orientales, en choisissant le compagnon d’une vie, nous choisissons sa famille et ses amis. En effet, il est impossible d’exclure indéfiniment une personne de son environnement naturel, de son entourage, de son quotidien, de ses habitudes ; bref, de sa vie. Car s’il est possible de faire des concessions réciproques, celles-ci durent souvent le temps d’une nuit, d’un mois, d’une année… Et puis la vie d’avant recommence avec la seule différence d’une personne en plus dans la bande, une personne isolée, déçue et désintégrée.
Certains diraient que pour faire réussir une vie de couple et a fortiori un mariage, il faut être bien à deux. Mais l’individu, social par nature, peut-il prétendre entretenir une relation autonome et renfermée au monde extérieur, qui le lierait indéfiniment et solidement à son autre? Pour réussir son couple, ne faut-il pas réussir sa vie de couple ‘avec’ les autres ?
Certes, toute relation exige des efforts permanents et réciproques, des sourires forcés, de la politesse nécessaire à la socialisation du couple… Mais encore faut-il la volonté de le faire. Pourquoi choisir un monde différent voire opposé dans lequel l’intégration serait quasi-impossible ou du moins très dure à réaliser quand il est possible de choisir un monde compatible ? Pourquoi faire subir à notre compagnon des amis insupportables et un environnement étranger qu’il accueillerait à contre cœur quand ce dernier voudrait mais pourrait difficilement se considérer ouvert d’esprit ?
Il faut d’abord être bien à deux. Mais il faut aussi se sentir bien dans le monde de cet autre que nous avons choisi. Et pour cela il faut vouloir faire tous les efforts nécessaires. Poussés par l’amour du premier jour, on se croit souvent prêt à supporter les contraintes de la vie sociale. On est aveuglé par un amour nouveau qui se montre solide et fort. A deux, tout est possible, croit-on… Mais la société s’avère vite incontournable. Les amis réapparaissent petit à petit quand la magie du couple commence à disparaître. Et on regrette ce sentiment de force peu assumé. Cependant, la sagesse fait souvent défaut quand on est noyé dans l’illusion…

vendredi, février 02, 2007

Paris, cliche?

Nous essayons souvent d’éviter les clichés : sorties diner-ciné, roses rouges, vin blanc, baiser échangé sur une plage romantique au coucher du soleil, promenade près d’un lac… Nous disons souvent, sous forme de reproche, suite à une scène émouvante d’un film à succès : c’est trop cliché ! Car pour qu’une chose soit parfaite il faut qu’elle soit personnalisée. En effet, il faut qu’elle corresponde au caractère de son auteur, aux goûts de son destinataire, au cadre spatio-temporel… Mais avouons le ; nous adorons les clichés !
Nous nous soucions souvent de la fin de notre histoire. Il faut que la conclusion soit touchante, choquante, impudique, inattendue. Nous préférons les fins insignifiantes aux fins heureuses. Nous craignons les cliches. Alors nous choisissons des extraits d’une vie moderne qui souffre d’insignifiance, nous optons pour des solutions tragiques et irréalistes, nous adoptons le terrain de l’imaginaire… En essayant sans cesse de détourner les cliches, nous déformons la réalité et nous plongeons dans le désolant. Car la vie, croyez-moi, est souvent belle car cliché.
Paris… C’est à Paris que se déroulent les scènes les plus classiques de romantisme : les baisers au bord de la seine, les ‘je t’aime’ au pied de la tour Eiffel, les promesses devant l’église de Notre Dame, les coups de foudres insensés, les sourires secrets… Paris : ville idéale pour les clichés.Si le mot « cliché » rappelle les banalités, les choses utilisées et abusées, les mots répétés, les gestes dépassés, les amoureux démodés… Et bien moi, j’adore les clichés ! Alors je marche émerveillée dans des rues que je connais par cœur maintenant pour ressentir des sensations inchangées… Et dans la constance de la scène je découvre dans Paris toute son originalité.