dimanche, mai 27, 2007

Libre

J’ai toujours envisagé la liberté dans son sens le plus large : la liberté de penser, d’aller et de venir, de croire, de choisir sa religion, de voter, d’adhérer à un parti politique, de faire sa route… La liberté est un grand mot que je ne comprends pas toujours, car si la liberté est toujours proclamée, celle-ci fait souvent l’objet d’atteintes diverses. Car je suis née chrétienne, j’ai grandi à Beyrouth, les évènements divers ont conditionné mes déplacements, une certaine évolution inévitable – et pas forcément choisie- a dirigé mon avenir et j’ai accepté, sans même faire l’effort d’un refus quelconque, des valeurs communes à la majorité des personnes que j’ai connues sans que celles-ci ne soient réfléchies, mesurées ou vraiment… censurées. Je suis libre, oui. Au sens d'une liberte bien reglementee.

Le cours de libertés publiques ne m’a pas été d’un grand secours. Car d’abord, il fallait que je me réveille tôt pour y assister : déjà la liberté de faire la grasse matinée est solennellement violée. Ensuite, car les libertés citées dans le cours (que j’ai reçu d’une amie plus sérieuse) sont limitativement énumérées. J’ai décidé alors de comprendre la liberté dans un sens plus restreint ; le mien. Ma liberté de comprendre… la liberté.

La liberté qui me convient est celle que je façonne : une liberté naïve, fragile, hésitante, particulière, superficielle… Mais une liberté choisie. La liberté de lui dire je t’aime sans avoir peur de son regard fugitif. La liberté de faire des mouvements sensuels sur une musique rebelle. La liberté de réfléchir à une vie commune sans complexes ni formalités. La liberté de faire des études de stylisme. La liberté de partir un moment, sans avoir à signaler son départ, sa destination, l’éventualité du retour. La liberté de ne jamais revenir.

La liberté n’a pas à être constitutionnelle. Son essentiel réside dans les gestes quotidiens. La liberté de rejeter ses amis un samedi soir car la télé se fait plus attirante. La liberté de les rappeler le lendemain et de leur dire que le résumé de la soirée précédente ne m’intéresse point. La liberté dans un décolleté plongeant. La liberté dans un dos nu impudique. La liberté dans une démarche hautaine. La liberté de mettre entre parenthèse un sérieux accumulé pour faire un tour romantique dans les vallées obscures d’une montagne majestueuse… La liberté de ne rien dire, pas un mot, de se serrer les mains, de regarder ailleurs, de s’éviter… La liberté de tout comprendre quand même.

Je suis libre… Libre de choisir en quoi et comment. Libre d’accepter ces choses qu’on me donne et de les transformer. Libre de dévorer un big mac gras et irraisonnable a 3h du matin. Libre de m’évader pour une période et de ne donner aucune explication. Libre de revenir tellement… différente. Oui, je suis libre. Libre et bien dans cette liberté arrogante que je m’approprie. Libre dans un corps qui refuse tout modèle. Libre dans un pays qui essaie de faire comme moi. Libre dans le sens le plus profond du terme. Libre dans tout ce que le mot peut englober bannissant limites et frontières. Libre… avec toi.

Paru dans L'orient le jour le lundi 21 juin 2007.

jeudi, mai 24, 2007

Rien n'a changé

Mes amis me disent d’écrire. Ils s’attendent à un texte rebelle et révolutionnaire, désespéré mais téméraire, furieux de colère. Ils veulent que je dise tout haut ce qu’ils pensent tout bas. Mais cette fois je risque de dire ce qu’ils ne pensent peut-être… pas.

De nouvelles péripéties, hélas, inattendues, peut-être, dangereuse, sans doute, cruelles, comme d’habitude, inexplicables aussi… De nouvelles péripéties sanglantes et déprimantes en début d’été comme pour annoncer une saison aussi triste que la précédente… De nouvelles péripéties jalouses de nos projets ambitieux, de notre envie de vivre, de notre volonté de reconstruire. De nouvelles péripéties, certes, mais qui ont perdu leur effet de surprise. De nouvelles péripéties de même nature que celles qui ont précédé mais aux effets différents : elles ne produisent plus le chaos d’autrefois, ni le désespoir, ni les décisions hâtives, ni le bouleversement radical de la vie quotidienne… Elles affectent la vie de tout libanais sans pour autant la transformer… Car nous sommes tous devenus résistants.

Ce matin je suis allée en cours, comme tous les étudiants. Nous avons discuter de tout, sans aborder ce sujet à la une de tous les journaux : bien informés, nous n’avions plus besoin d’en discuter. Les profs étaient au rendez-vous et les retardataires ne pouvaient avancer comme prétexte les explosions : elles ne constituent plus au Liban un cas de force majeure.

De retour, je pris la route d’habitude, celle qui longe la mer. Celle-ci n’avait point changé. Et le soleil était aussi magnifique que tous les jours, à cette période de l’année. Non, ces péripéties n’ont presque rien changé. Car nous ne voulons plus leur accorder ce privilège. Nos vies sont devenues hors portée.

Les péripéties diverses nous ont si peu affectés. Dimanche, nous n’irons peut-être pas prendre le café dans ce centre commercial qui a explosé. Mais nous irons sûrement celui d’après… Mon texte est optimiste, me diriez-vous. Vous m’accusez aussi de schizophrénie. Peut-être. Mais j’en ai le droit. Car si tout le monde autour de moi se permet d’avoir des personnalités multiples, je me permets d’en avoir… deux.

Article paru dans L'Orient Le Jour du samedi 2 juin 2007.

samedi, mai 19, 2007

Gagne-t-on vraiment un proces?

Il n’est pas nécessaire d’étudier le droit pour savoir qu’il faut deux parties pour constituer un procès. L’une assigne l’autre en justice et cette dernière invoque des moyens pour se défendre.

A l’issu du procès, l’une gagne et l’autre perd, naturellement. Elle devra indemniser la première de toutes les dépenses et de tous les frais de justice en plus de la sanction décidée par le juge qui statue conformément à la loi ou selon l’équité, en l’absence de texte.

Ainsi exposée, la scène parait bien organisée. Noir ou blanc. Perdant ou gagnant. Demandeur ou défendeur. Coupable ou victime. Gentil ou méchant. Mais gagne-t-on vraiment un procès ?

Gagne-t-on vraiment un procès quand on a perdu sa dignité ? Gagne-t-on un procès quand on est entraîné devant les tribunaux alors qu’on a toujours essayé d’avoir un comportement moral et loyal, honnête et convenable ? Peut-t-on vraiment être vainqueur en justice ?

Même quand la cour statue en notre faveur, on ne gagne pas un procès. Il y a toujours quelque chose de perdu. Ne serait-ce que son temps, sa patience, son calme, sa fierté, son honneur… Nous justiciables, ne gagnons jamais un procès. D’ailleurs, une réparation n’est que rarement intégrale et même intégrale, toujours décalée.

Un procès est perdu d’avance. Un procès est perdu dès sa naissance. Car le Droit n’est pas fait pour régir les relations supérieures. Les relations amicales, amoureuses, respectueuses sont placées en marge du Droit.
Non, le Droit n’est pas fait pour régir les relations… humaines.

samedi, mai 12, 2007

Ma vie suspendue

Le départ de la personne aimée est toujours difficile. Un peu moins pour moi peut-être car j’accepte le voyage. J’ai grandi sachant qu’un jour je vais partir, j’ai vu mes frères et ma sœur s’en aller aussi et mon père a fait du voyage son métier. Les distances ne m’intimident pas et je puise dans l’écriture et dans les appels inattendus un plaisir indescriptible. Je trouve que cette séparation provisoire enrichit le couple car elle permet aux deux personnes de s’épanouir séparément tout en préparant l’intensité de la rencontre. Celle-ci est souvent passionnelle et riche en émotions. Non, je ne me plains pas des distances. Je me demande si elles existent dans un monde comme celui d’aujourd’hui où les moyens de télécommunication rendent l’échange facile et les moyens de transport les retrouvailles rapides…
La distance est aussi un test qui permet d’évaluer l’amour. Si le couple lui survit, s’il la snobe, la dépasse, la défie c’est qu’il est digne d’exister. Alors je le laisse partir. D’abord parce que je n'ai pas le choix, ensuite car je sais que je vais commettre le même crime dans deux mois et enfin par amour. Je n’y peux rien.
Je comprends la distance. Je l’accepte. Elle ne me fait pas peur. Je lui dis adieu rapidement. Je n’aime pas les grands gestes. Je vais en cours juste après. Un peu pour prétendre que la vie continue, un peu pour faire semblant que ce n’est pas grave et surtout pour me convaincre que son départ ne changera pas grand-chose. J’écoute vaguement les propos d’un professeur trop sérieux à mon goût. Je suis déjà quelque part entre Beyrouth et Paris. Et je ressens une légère douleur que j’essaie d’ignorer. Je respire profondément. Je souris bêtement. J’essaie de ne pas trop réfléchir.
Le départ est supportable. Car il y a le téléphone, les messages, les souvenirs. Mais il y a une phase impossible à gérer : quand la personne qu’on est aime est dans l’avion. Les pensées m’envahissent, je ressens le besoin de partager quelque chose, de lui dire encore quelques mots, de lui promettre que rien ne changera, de lui jurer que comme lui, je vais l’attendre, de lui assurer que moi aussi, je me sens forte quand un peu plus tôt je n’ai rien su dire… Mais j’attends. Le temps ne passe pas. Et la vie est suspendue… jusqu’à son arrivée. Le temps ne m’appartient plus et la vie me reprend ce qu’elle m’avait si généreusement offert longtemps et de la façon la plus intense possible. Elle me prive de ce bonheur juste au moment où je me demandais comment elle pouvait devenir si parfaite. Je la laisse faire. Je le lui dois. Je la laisse faire en attendant de reprendre le dessus…

vendredi, mai 11, 2007

Amnesique, je me souviens

La mémoire est à la fois le bonheur et la misère de l’Homme. Marcel Proust, dans son livre « à la recherche du temps perdu » raconte comment le goût d’une madeleine, petit gâteau court et dodus, l’emporte dans sa plus tendre enfance faisant ressurgir de doux souvenirs… La mémoire permet en effet à l’intensité d’un moment de survivre à sa fin. Elle immortalise certaines personnes qui vivront éternellement dans le cœur de ceux qui les aiment.
Mais la mémoire est aussi misère. Elle devient instinctivement sélective pour assurer la survie. Nous, libanais, sommes même souvent amnésiques. Nous oublions vite les plus tristes évènements, nous banalisons les scènes les plus cruelles, nous tournons la page après une guerre sévère. Nous avons toujours de l’espoir, nous sommes optimistes, nous donnons de nouvelles chances à ceux qui nous ont déçus, nous croyons en un avenir meilleur. Nous choisissons les éléments à garder. Ils diffèrent selon les personnes. Les hommes politiques semblent ne se souvenir que des choses qui servent à fonder leurs prétentions. Ils oublient ou se rappellent selon leurs intérêts variables avec la conjoncture. Ils en sortent toujours innocents. Les autres, comme moi, essaient dans la mesure du possible de ne retenir que les instants de bonheur. Une journée calme suffit pour effacer des mois d’instabilité. Nous oublions pour vivre.
Je suis libanaise donc amnésique. Mon pays semble tout à fait guéri car aujourd’hui il a fait beau. J’oublie tous les drames passés et je trouve tout avis contraire exagéré. Je redessine mes projets d’autrefois que j’avais balayés un jour de crise. Je repense à un avenir dans ma capitale Beyrouth. Je rêve de fonder une famille au Liban. Naïve, quelques instants prétentieux me suffisent…
Mais notre mémoire est si faussement sélective. Oui, notre mémoire est hypocrite. Car si elle nous procure par sa censure un bien-être vital ce n’est qu’à titre temporaire. Un simple orage fait ressurgir rétroactivement tous les malheurs d’hier. Et nous revivons notre passé plus difficilement que la première fois : le mauvais souvenir s’accompagne du goût amer de la trahison. Notre mémoire que l’on croyait protectrice nous a trahis.
Une bombe jetée au coin d’une rue me rappelle que mes amis sont partis, qu’hier il ne faisait pas beau, que ma sœur a dû voyager en vitesse, qu’un camarade de classe a perdu sa maison, que les jeunes cherchent du travail dans un marché étranger accueillant mais abusif.
Amnésique, je me souviens que mon pays n’est pas encore prêt à oublier. Sa mémoire l’a tout aussi trahi… Et il accepte difficilement ses souvenirs.

Paru dans l'Orient Le jour le mardi 15 mai 2007.

mercredi, mai 02, 2007

Toi, mon soleil

J’avais longtemps attendu. Tout l’hiver. J’avais supporté le froid, les tempêtes et même de très gros nuages. J’étais souvent restée chez moi pour ne pas avoir à affronter le mauvais temps. J’avais compté les mois, les semaines et les jours qui me séparaient de l’été. Il a trop tardé. Je me suis demandée s’il allait venir ou s’il avait décidé de me laisser tomber cette année. Et s’il m’avait trahie ? J’ai douté. Certains m’ont même dit qu’il n’a jamais existé. Je l’ai cherché. Et puis j’ai abandonné.
Ce matin, je me suis réveillée. Et il était là. Sans préavis. Je l’ai très bien accueilli.
Ce matin, le soleil était là. Et je suis allée le retrouver. J’ai fermé mes yeux et je l’ai laissé sur ma peau s’étaler. J’ai respiré profondément. Et tout doucement il m’a tout fait oublier : les nuages, la pluie, les mois derniers. Toute la journée, le soleil m’a caressée. Je t’avais longtemps attendu ; toi mon soleil… le plus beau de l’année.