mardi, octobre 09, 2012

Vieillir

Il y a les expériences que l'on provoque. Deux mois de bénévolat au Kenya. Par envie de donner, d'enseigner, de partager son savoir, de vivre sans Rimmel, sans fer à lisser, sans Special K, sans sa soeur, sans son mec et les lundis soirs ridicules sur son roof qui snobent la ville qui s'endort, le bruit qui s'éteint, le travail du lendemain. Partir loin par besoin de trouver le vrai, le simple, le sauvage, le sens des choses ou son absence. Par culpabilité de vivre une vie paisible peut-etre, superficielle parfois, facile. Pour ajouter quelques lignes sur son CV, changer sa cover photo sur Facebook, être accepté dans un MBA bien reputé ou jouer au vagabond. Il y en a plein, de ces expériences que l'on s'offre, qu'on négocie, qu'on choisit. Faire du saut en parachute. Nager avec des requins. Faire de la plongée. Apprendre le latin. Adopter un chien. Se faire un piercing à la langue. Sortir avec un mec pas bien. Prendre un job dans la finance. Realiser vite que remplir des feuilles Excel est dénué de sens. Le quitter ensuite pour chercher son destin. Entre temps, porter un brésilien. Vivre a Beijing. Louer un studio a Beyrouth. Parler devant un public. Escalader une montagne. Y camper. Et y découvrir ses forêts, peut-être, je n'en sais rien ... De ces experiences on revient plus grand. Parfois réellement. Parfois... on fait semblant. Une chose est sûre: on en revient changé. Ne serait-ce que plus riche d'histoires à raconter. Ces experiences sont souvent belles. On les veut à tort open-ended, sans fin. Comme ce mois d'Août torride avec Stefano, un fou rencontré à Madrid. Ces histoires qui s'éteignent souvent à peine nées. Qui sont délicieuses ne serait-ce que de ce seul fait. Qui meurrent et avec elles la peur indissociable de les voir s'achever. Elles feront parfois de très beaux souvenirs, embellis davantage avec le temps par une mémoire approximative et une imagination sans limite. Elles feront vagabonder nos esprits bien après, embuer nos yeux d'larmes de bonheur, de nostalgie, de regrets. Elles laisseront parfois sur la langue le goût amer des choses passées. A peine effleurées. A peines commencées. La frustation du "unfinished business". Et toutes les questions associées. Les "ifs", "buts", damn!!, "coulda, woulda, shoulda" dirait Bradshaw. Peut-être. Mais il y a aussi et surtout ces expériences qui viennent sans invitation. Non choisies, non sollicitées. Elles ont du culot, ces salopes. Secouer nos vies et nos maisons. Installer le chaos sur une route paisible jusque la sans veritable maux. Qui nous amaigrissent. Nous salissent. Nous attristent. Volent à nos nuits leur sommeil. A nos jours leur soleil. A nos ambitions leur courage. A notre âme nomade toute envie de voyage. A nos lèvres leur gourmandise. A nos yeux leurs surprises. A nos doigts leurs bêtises. A notre peau ses frémissements. A notre coeur son enfant. A nos rêves leur raison d'être. A nos prisons internes leurs fenêtres. Ces expériences qui nous grandissent sans préavis, qui viennent semer les ennuis, qui sont supposées rendre plus tenace mais qui bien souvent laissent épuisé, las, dégouté, dégueulasse. Finalement, l'âge que l'on a n'a rien à voir avec les années vécues. Ni les bougies soufflées. Ni les amours déchues. Ni les rides au coin de ses yeux fatigués. Ni la fermeté de son corps. Ni les adieux violents dans les aéroports. Ni l'intensité de ses remords. Ni la sagesse de son esprit. Ni les livres lus. Ni l'éducation recue. Ni les enfants qu'on a fait. Ni les amis qu'on laisse passer. On a l'âge que la vie veut bien nous donner. ©

samedi, octobre 06, 2012

Moustique

J’aime mes matins. Même quand je me réveille quand déjeunent certains. J’aime savourer mon café en me prélassant au creux de mon lit douillet, la mine encore fatiguée, les idées en slow motion et les cheveux trop frisés, vérifier ma boite à lettre, lire l’email d’une bonne copine, sourire seule devant mon ordinateur, écouter Barbara, me demander quel temps il fera. Mon café, je n’aime pas qu’on me le fasse. J’aime bien le concentrer, et remplir seulement à moitié la tasse. Faire un bon café est tout un art. Celui des autres a un goût bizarre. J’aime que le matin représente, même faussement, un nouveau recommencement. Toutes les possibilités, le néant. J’aime qu’il soit calme, qu’il soit lent. Qu’il efface les chagrins de la veille. Qu’il réduise ses tourments, qu’il promette des merveilles. J’aime la journée, son bruit, ses nouvelles. Quand mon frère se promène à la maison, une tranche de pizza froide à la main. Quand je retrouve mes copines pour un déjeuner ou un thé au jasmin. J’aime que ma chanson préférée passe à la radio. Qu’elle vienne de commencer et que je n’en rate aucun morceau. J’aime les soirées Beyrouthines. Les verres en terrasse et la même routine. Recevoir les confidences d’une copine. J’aime reconduire seule chez moi, tard dans la nuit, repenser ma vie puis hausser le volume de la musique pour taire dans ma tête le bruit. Monter le volume pour assourdir mes soucis de paroles légères et de notes jolies. Mais je n’aime pas la nuit. Je l’ai dit et redit, elle exagère la vie. Je n’aime pas le silence qui m’envahit. Je n’aime pas que mon oreiller déclenche les ennuis. Les minutes sont interminables quand on souffre d’insomnie. Je n’aime pas cette peur injustifiée que le matin ne se lève jamais. Ni le souffle du vent sur mes volets. Et quand enfin je ferme l’œil, c’est alors qu’un moustique décide de faire sa tournée. Un moustique, c’est petit mais violent. C’est low profile mais très méchant. Ca interdit le repos, le rêve, l’abandon. La complicité entre la nuit et les moustiques n’a rien de bon. Ils se nourrissent d'amertume plutot que de bonbons.©

Dounia

Dounia est belle. Dounia est frêle. Elle est élégante, Dounia. Elle a la taille, elle a le corps. Elle a les yeux grands et le regard fort. Elle a le rire facile, explosif et léger. Elle s’en fout de ce que l’on peut penser. Elle ne cache pas les dents quand elle rit aux éclats. Et quand on l’entend rire, on a l’impression que tout ira. Elle a les cheveux longs, souples et ondulés. Aux couleurs de la nuit et à l’odeur du sucre brulé. Elle a la peau douce et pâle. Elle a la parole franche qui n’a rien de banal. Elle a le job qu’elles veulent toutes. Sans hésitation quelconque, elle connaît sa route. Elle mange ce qu’elle veut sans que ses hanches en pleurent. Elle fonce dans la vie, elle n’a pas peur. Dounia aime la musique et aime danser. Quand elle bouge, elle est gracieuse. Les autres ont l’air gourdes à ses cotés. Elle vit sa vie, elle est heureuse. Elle est libre Dounia. Elle a le culot, que nous - bêtes gentilles polies- nous n’avons pas. Elle ne se fait pas marcher sur les pieds. Elle s’impose, avec un sourire qui laisse bouche bée. Elle a un homme qui sait qu’il faut tantôt l’aimer et tantôt la laisser s’évader. Elle a ses peintures pour dessiner le monde qui lui plait. Elle a la démarche agile et des doigts de fée. Elle a de l’aquarelle sur les murs et ça a un joli effet. Elle a une nonchalance délicieuse qu’on échoue à imiter. Elle porte dans son regard l’univers et son immensité. On y plonge pour se perdre, pour se retrouver. Elle écoute comme si nos mots, elle les dévorait. Elle se confie comme pour notre âme pénétrer. Elle a une balançoire dans son jardin toujours fleuri, même quand le printemps est depuis longtemps fini. Les fleurs ne meurent pas chez elle. Chez nous, même les cactus ont du mal à battre l’aile. Elle ne s’excuse pas d’être, Dounia. Elle est, et puis tant pis si ca plait pas. Elle est drôle aussi, comme si ca ne suffisait pas. Mais le jour où, sur sa balançoire qui ne grince pas, elle nous confia ses incertitudes cachées et son plus vilain secret, impulsivement et sans la moindre méchanceté, nous ne pûmes empêcher comme un soupir soulagé. Et pourtant… Dounia, nous l’aimons. Sans fin. Mais qu’elle redevienne humaine, bizarrement, nous fit du bien. ©

jeudi, octobre 04, 2012

Le Lapin

L'idée qu'un lapin puisse être clairvoyant ne lui etait jamais encore passée à l'esprit. Et pourtant... Son esprit avait bien erré ces derniers temps. Puisqu'il n'avait mieux à faire. Puisque le temps se faisait lent et puisque l'été ne l'inspirait guère. Ou plus. La vie avait perdu son charme, son mystère. Elle lui semblait tout à coup trop banale ou trop complexe... Le dilemme la laissait perplexe. Entre les deux, elle ne savait plus. Et puis le trop simple comme le trop compliqué sont a son coeur fragile et son cerveau futile hors portée. Et pourtant elle le sait. Qu'elle doit se decider. Agir. Choisir. Partir. Ou rester. Mais choisir quoi et pourquoi, partir où et comment, quand ... Tout fait défaut. L'envie, l'intuition, le besoin, la folie, la raison... Quoi faire de sa vie quand on aime tout mais plus rien du tout ... Elle se souvint d'un roman de Paolo Coelho dans lequel il écrit qu'au croisement des chemins il faut se poser et attendre, s'asseoir sur une terre sage et tendre, jusqu'a ce que l'intuition nous indique le chemin à prendre. Mais elle n'aime plus Paolo Coelho depuis que tout le monde l'aime. Elle préfère les romans inconnus de poètes déchus mal lus, mal compris, morts avant d'avoir tout dit. Elle n'aime pas ses phrases toutes faites et grandioses qui prétendent tout dire mais qui ne disent rien en réalité, hautaines de réponses simples aux questions transcendantales, répétées jusqu'à être vidées de toute âme, laides de s'être trop montrées, sales de s'être trop echangées, fatiguées d'avoir trop voyagé, tristes de n'avoir jamais été pensées... Elle cherche ses propres réponses arrogantes qui ne font que lui poser des lapins. Elle cherche son propre destin. Et puis il y eut l'histoire d'Alice et du lapin: - Which road do I take? asked Alice. - where to you want to go? replied the rabbit. - I don't know, answered Alice. - Then, said the rabbit, it doesn't matter. It really doesn't matter ... ©

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mercredi, octobre 03, 2012

Ranger

Aujourd’hui, j’ai tout fait descendre par terre. Comme ca au moins, je suis sûre de tout trier sans remettre à après. Les robes de soirée, les jupes d’été, les vestes, les chemises vieillies, les robes trop courtes, les jeans qui datent de mes quinze ans, les t-shirts décolorés et les chaussures ringardes un jour aimées. J’ai passé des heures à faire le point. A mettre d’un coté ce que je voulais garder et d’un autre ce que je voulais envoyer loin. Cet exercice ménager quoique anodin vint tourmenter mon esprit en provoquant des questions transcendantales que je voulais justement chasser en occupant mes mains. Comment savoir en l’achetant qu’un vêtement sera gardé longtemps ? Comme mon plus vieux pull gris dans lequel je dors encore pour taire les remords… Ou ce jeans autrefois bleu marine et aujourd’hui bleu très clair presque blanc, maintenant déchiré au niveau du genou droit, qui a grandi avec moi, apprivoisé des formes lunatiques et connu toutes mes peines, mes joies, mes effrois ? Ce jeans que je garderai à jamais, même s’il devenait un pauvre bout de tissu fatigué, dégoûté, essoufflé par les années. Pourquoi achetons-nous même parfois des vêtements qui ne seront jamais portés, aimés au seul instant de l’achat, et détestés à jamais après ? L’idéal serait d’emporter les vêtements chez soi, de les installer confortablement sur l’étagère d’une armoire propre et attendre quelque temps pour savoir s’ils remporteront le défi du temps, pour ne les acheter qu’a posteriori dans l’affirmative… Le rangement se fera alors plus rare et mon armoire ne sera habitée que par de jolies pièces que je ne lâcherai jamais …. Mais la vie est faite de choix souvent rapides, impulsifs, instantanés. D’amitiés éphémères qui durent le temps d’une soirée. Et de regrets. Quoique... Il est vrai, j’aime bien ranger. Mais pas trop. Sinon ca m’angoisse. Quand les choses m'ont l'air bien lisses, je les froisse. La vie trop propre, trop classée, à vrai dire je m'en lasse.