dimanche, septembre 28, 2008

Eponge

Portugal? Sept mains se levent. Grece? Une vingtaine se disputent l’attention du prof. Russie ? Trois doigts discrets repondent a l’appel, presque en cachette. Italie ? Un accent qui chante raconte pizza et spaghetti. France ? quelques parisiennes se font reconnaitre sans provoquer la moindre surprise ; elles sont reconnaissables par leur accent francais et par le chic inimitable de leurs tenues. Portugal, Espagne, Monte Carlo, Turquie... Pas d’appel pour le Liban. Je proteste. Je viens de Beyrouth. Le prof acquiesce sans grand enthousiasme, ce qui m’exaspere.
Je passe le reste de la journee a expliquer a mes collegues l’emplacement geographique de mon cher pays, sa cuisine traditionnelle, ses plages, ses montagnes majestueuses, ses cedres, ses eglises, ses mosquees, son centre ville, ses ports, ses filles, ses bars, ses boites de nuits, ses cafes, ses habitudes, ses soucis, ses blessures, ses amis, ses ennemis, ses guerres, ses voisins, ses matins... et ses nuits. Je leur parle d’un pays qu’ils connaissent a peine a travers des chaines de television menteuses ou des premieres pages de journaux qui pretendent connaitre la verite. Je leur parle d’un pays qu’ils ignorent completement pour certains. Je me surpends a le defendre, a combattre des prejuges, a expliquer qu’il neige a beyrouth et qu’il y a des plages aussi, qu’il n’est pas interdit de se ballader en jupe dans la rue et que non, ma tenue n’est pas propre a londres mais d’usage dans mon pays egalement, que chretiens et musulmans se cotoient en paix et sont parfois meilleurs amis, que l’arabe est notre langue natale mais que nous connaissons egalement le francais et l’anglais... Je passe ma journee ainsi, blessee de tant d’incomprehension, surprise de tant d’ignorance.
Je leur parle de leurs pays et des endroits qui m’ont touchee, de leurs cuisines, de leurs cultures, de leurs habitudes. Je leur parle de ces choses que tout libanais sait spontanement, sans effort particulier, du seul fait d’exister.
Sur le chemin du retour, je me sens fatiguee. Vivre a l’etranger ressemble un peu a une lutte pour changer l’image de mon pays prefere. Peut-etre suis-je trop sensible, trop susceptible ou trop exigeante...
Je ne comprends pas comment on puisse ignorer un pays qui a sa place la carte du monde ou tout simplement dans le jeu Risk. Je ne comprends pas comment on puisse ne pas savoir qu’il y existe des plages et les plus belles soirees.
Le chemin est long. Je regarde Londres de par une vitre mal essuyee. Je respire la ville et tente de retenir la chronologie des rues. Je fais l’effort de regarder le paysage que je traverse tous les matins d’un oeil nouveau car je ne sais quand je devrai quitter. Je decouvre de nouvelles boutiques, des arbres que je n’avais pas remarque, des terrasses de cafe, des restaus accueillants et j’inscris tout, comme pour ne pas oublier.
Je me sens triste de devoir faire la publicite d’un pays tellement beau que le monde devrait venerer. Je ressens une injustice qui me dechire et une incomprehension que je n’arrive pas a detruire. Je ne sais pas si je suis convaincante, mais demain, je leur montrerai des photos, et je leur ferai un plat ou deux que j’ai appris de ma mere avant de venir. Je deteste leur regard vaniteux des grandes villes et leur esprit borne.
Je me demande comment les libanais, avec tous les problemes qu’ils cotoient tous les jours, connaissent si bien le monde et pourquoi le monde les connait si peu...
Et puis je me surprends en train de sourire, d’un sourire spontane et surtour repose... Je comprends enfin leur misere. Nes dans les plus grandes capitales, sous le regard influent de leurs chefs politiques, au sein de leurs economies dominantes, ils croient tout avoir et tout posseder. Et surtout... qu’il n’existe rien ailleurs.
Nee a Beyrouth, dans un pays plus petit que ses reves, j’ai du connaitre le monde, apprendre les pays, considerer les continents, pratiquer trois langues, etudier pour pouvoir eventuellement partir. Bref, j’ai du m’epanouir.
Plus grand est le pays, plus petit est l’esprit. Petit est le liban, vaste... vaste est notre esprit.
D’une fenetre mal lavee, j’absorbe autant que possible. Aujourd'hui, je suis eponge.

vendredi, septembre 12, 2008

Les carnets

Au coin de ma rue, un magasin plein de couleurs m’attire toujours l’attention. Je me dis que je devrais y entrer, faire un tour et voir de quoi il s’agit. Mais je remets toujours ca a plus tard en me disant que de toute facon c’est tout pres de chez moi. Et que j’aurai tout le temps l’occasion d’y passer.
Puis je realise que je commets la meme faute que d’habitude : je neglige les choses qui m’entourent et prefere toujours les longs trajets pensant que j’aurai une possibilite ulterieure de decouvrir mon entourage. Et je pars, souvent, toujours, sans l’avoir fait. Revoltee par ma propre pensee, j’oublie mes bras encombres et j’entre faire un tour dans cette boutique-compte de fee.
A ma grande surprise, non seulement etait-elle faite pour moi a cause de la multitude de couleurs qui se disputent et se rencontrent mais aussi a cause... du papier. Tout etait en papier : des enveloppes, du papier a lettre, des etiquettes, des cahiers, des agendas, des calendriers, des post-its, des classeurs et surtout... des carnets.
Je touchai emerveillee les differentes textures en passant du carbon au calque au crepon au glace au canson a l’adhesif en les portant quelque fois, discretement, vers le nez pour sentir l’odeur du papier frais.
Mais ce qui faisait de cet endroit mon paradis etait le nombre impressionnant de carnets aux motifs divers. Je ne pus m’empecher d’en acheter, comme si ma collection etait prete de s’epuiser.
Et sur le chemin du retour, je commencai a reflechir aux listes nouvelles a creer afin de remplir mes carnets. J’avais deja une liste de courses, une liste de choses achetees, une liste de sentiments eprouves durant la journee, une liste d’endroits a decouvrir, une liste de choses a lire, une liste de calories consommees, un carnet de recettes de cuisine, un carnet d’addresses, un carnet d’anniversaire, un carnet d’amis, un carnet d’ennemis...
Je realisai tout a coup combien de temps je consacrais a vouloir mettre de l’ordre dans ma vie. Et combien j’etais ridicule de croire qu’en les inscrivant, les choses devenaient plus maitrisables voires controlees. Je realisai que de l’ordre dans mes cahiers, des points a la ligne et de l’encre bleue soigneusement choisie ne changeaient rien a ma vie spontanee et impulsive, a mes erreurs, a mes betises, aux mots que je dis trop vite, aux reactions que je ne sais controler, aux secrets que je n’ai jamais su cacher, au manque de diplomatie dans mes relations, aux bars de chocolat dans le tiroir de ma table de nuit que je n’inscris pas parce que c’est la nuit et le carnet enferme les calories du jour, aux recettes que je change malgre les directives severes du site duquel je les pique parce que j’aime plus de chocolat, moins de beurre et des framboises sur le dessus pour decorer...
Inscrire... Pourquoi ? Pour controler ? J’inscrirai toujours, et je dresserai des tableaux, je creerai des listes, des numeros, des parties et des sous parties... Rien que pour sentir que je maitrise ma vie. Mais une fois le carnet referme, j’irai a la patisserie d’en face, et je mangerai toutes les tartes que je trouverai. Tant pis pour le carnet.

jeudi, septembre 11, 2008

Grand ecart

Juin 2008: il est midi. Et je suis encore au lit. Mon seul souci depuis des mois etait celui de reussir mes examens. J’ai bosse plus dur que d’habitude pour rattraper le temps perdu avec ceux qui n’avaient pas a bosser. Ce matin de juin 2008, je suis toujours au lit. A midi. Parce que j’ai tout fini. Ou presque. Il n’y a plus qu’a attendre les resultats. Et m’occuper au max pour ne pas y penser. Les yeux clos, je cherche d’une main a moitie reveillee un cafe qu’on m’a prepare. Je ne prends pas le temps de songer a la main sensible qui me l’a fait avec amour. La chaleur me guide. Je le retrouve. Je le rapproche de mon nez pour l’humer et laisser l’arome du cafe envahir mon corps repose. Je le bois doucement tout en reflechissant a ma tenue pour la journee. Je vais la passer a la plage, dejeuner avec mes copines et ensuite aller chez le coiffeur pour un brushing bon marche digne d’une belle soiree dans le seul bar de beyrouth. Je prends ma douche, jette mes habits par terre et sort d’un coup, sans soucis majeurs, sans travail domestique, sans penser une seconde a ceux qui le font... pour moi. Tout ce que je sais, c’est qu’a mon retour, tout sera bien range, repasse, parfume. Comme par magie.

Septembre 2008 : il est huit heures. Je suis debout. Car avant de sortir, j’ai la vaisselle a faire, la poussiere, le lit et le rangement quotidiens. Ma main cherche sur la table de nuit un cafe qu’elle ne trouvera pas. Un sourire se dessine sur ma bouche. Un sourire de pitie qui se moque de la fille que j’etais. Je m’habille en vitesse. Mais je ne jette rien sur mon chemin, pour ne pas creer de travail supplementaire. Je vais en cours. A pieds. Je me souviens de ma voiture aussi paresseuse que moi et je lui fais une priere silencieuse. Il est dix huit heures. Mes cours termines, je fais les courses, pour avoir quelque chose a grignoter. Je porte mes sacs et je prends des pauses quand leur lourdeur m’empeche de continuer. Arrivee devant une porte a deux clefs, un tour de magicienne s’impose pour pouvoir entrer. Car il faut inserer les deux clefs en meme temps, tout en faisant gaffe de ne rien faire tomber et de ne pas casser les oeufs dans mon sac a papier. Ma vie change. Et il etait temps de sortir de mes habitudes de libanaise gatee. Je reflechis a cet ecart qui s’est dessine en l’espace de quelques semaines. Et aux sacs qui m’obligent, afin de pouvoir entrer dans ma chambre, pour ouvrir cette porte a double clefs, de reviser mon grand ecart. Je ne veux pas y retourner. Car malgre tout le travail qu’on me faisait et le merci que j’oubliais si souvent (toujours) de prononcer... je me sens enfin reposee.

Merci a tous ceux qui m’ont fait, un jour, mon cafe.
Et mes sinceres excuses aussi...

lundi, septembre 01, 2008

Illusion optique

Un bruit rythme et bien etrange me reveille. Je ne comprends pas tres bien. Quelques minutes s’averent necessaire pour que ma memoire me situe dans l’espace et dans le temps. Mais le bruit ne s’explique toujours pas. Sur ma fenetre, pas d’oiseaux. Et dans mon appart, que moi. D’ou vient alors ce bruit que je ne reconnais pas ? Je me frotte les yeux pour retrouver, apres la memoire, peut-etre le cerveau. Mon nez sur la vitre, je regarde vers le bas et trouve enfin une explication. Je suis dans une grande ville. Et la somme des pas presses des passants produit tout ce chaos. Je fais vite pour descendre. Parmi tous ces gens, comment se sentir seul ? Parmi cette foule, il devrait sans doute y avoir quelques nonchalants qui n’ont rien a faire ce matin, comme moi.
Du monde partout. Sur les terrasses des cafes vantant un soleil rare et quasiment impossible, sur des trottoirs hautains d’etre trop occupes, dans les files des supermarches a toute heure de la journee, sur les escaliers roulants du metro, dans les restaus, a la poste, dans les parcs et dans les boulangeries... Que du monde, que du bruit, que des gens qui courent. Je me perds dans la vitesse et je cours aussi oubliant que j’ai toute la journee a perdre... ou a gagner.
Je me suis bien entouree. Ou plutot... trop. Illusion optique. Car je marche seule, je rentre seule, et devant ma tele, je ris seule et je dine en solo aussi. Une trop grande ville. Mais dans mon tout petit village que je considerais ville au Liban, dans une maison « au fin fond du monde » comme disent mes amis, avec un seul voisin de l’autre cote de la rue et un autre au bout de l’allee, dans une maison que ma mere a pris le soin de decorer, autour d’un diner saupoudre d’amour et de bonte, je me sentais beaucoup plus chaudement entouree.