mardi, septembre 21, 2010

Blasée

Voilà c’est fait. Ce qu’on avait juré ne jamais voir arriver. Cette période de silence insupportable qui nous est imposée par la force des choses. Je l’avais entendue dans une chanson, il y a longtemps, cette phrase qui résume tout : « je préfère l’ignorance aux mauvaises nouvelles ». Oui. De loin.

Mais l’ignorance est difficile à accomplir. L’information est partout. Même les yeux fermés, même les oreilles bouchées, même le cœur drogué, j’entends, je vois, je sais. Et surtout je sens. Je te sens partout. Je te vois partout. Parfois pour de vrai. Et parfois non.

Alors je m’occupe. Je plonge la tête dans le travail et dans les études. Je lis des choses drôles. Je sors. Beaucoup. Je me crée une nouvelle personnalité. Je raconte mon passé. Mais il y manque une partie. Une partie qui dure trois années. Trois années cachées. Fausse-oubliées.

Je me dis blasée. Car plus rien ne me touche. Plus rien ne me plaît. Plus rien ne me passionne. Plus rien ne me fait vibrer. Ma peau est anesthésiée. Mon cœur dur comme la pierre. Mes yeux vides. Mon sourire forcé. Et mes rêves brûlés. Doucement. Ca fait plus mal.

Et quand l’ignorance que je choisis m’obéit, alors je me retrouve à rechercher dans mes archives, comme une hystérique, photos et vidéos et souvenirs… je sais que ca va me faire mal. Mais je le fais quand même. Presque exprès. En recherche de sensations vraies. Comme pour prouver que j'existe. Encore.

Je me force à me dire que c’était faux, moche, vulgaire et exagéré. Je m’entends dire, le rire qui s’échappe entre des dents serrées, que j’étais bête, naïve, triste. Mais non. C’était tout simplement beau.

Puis je replonge, comme pour noyer mon cerveau et ma mémoire, comme pour les fatiguer au point de les tuer, comme pour les user… dans le travail.

mardi, septembre 14, 2010

Complicité

C’est une ville qui veut accélérer le rythme de la vie. Comme si celle-ci n’était pas assez rapide de nature. C’est une ville où les salades sont à emporter, les déjeuners à même les bureaux entre deux emails, les verres avalés avec des collègues en dix minutes chrono pour un but autre que purement altruiste, le métro plus rapide que l’éclair, les mots en monosyllabes, les bonjours hâtifs et les vêtements achetés en ligne.

C'est une ville où l'on trouve à peine le temps d'appeler ses parents. Juste assez de temps pour leur dire "je vis".

Le matin, les gens courent. Tous. Comme si des quelques minutes gagnées (ou perdues) dépendait leur destin. Et quand tout le monde court, j’ai du mal à ralentir le pas. J’entre dans la course. Mais paresseuse de naissance et libanaise de sang, je suis perdante toujours.

Le retour du boulot est le plus douloureux. Parce que mes yeux compétitifs et mauvais perdants veulent bien prétendre être dignes de ce rythme, mais ils se referment inlassablement et naturellement… malgré tous mes efforts de concentration.

Puis je cours. Je cours pour rentrer. Je cours pour gagner quelques minutes de sommeil. Dont dépendrait aussi mon destin.

Un feu rouge m’empêche de traverser. Et je lui en veux. Mais qu’est-ce que je lui en veux de me voler ces secondes précieuses. Pourquoi à mon tour? Surtout que lui s’en fout… il n’a même pas à se déplacer. Il reste immobile à longueur de journée. La belle vie.

Alors je regarde autour de moi. De force puisque je ne peux traverser. Il fait bon. Un vent léger qui caresse au lieu de fouetter. Un ciel presque rose pas encore, dans la nuit, plongé. Des arbres. Des immeubles à l’architecture immaculée du temps où les gens… prenaient leur temps. Des cabines téléphoniques rouges à carreaux qui souffrent de solitude depuis que les téléphones courent aussi.

Sur les poteaux, le signe cc de coco chanel, du temps où quand on aimait, on l’exprimait partout dans la ville. Du temps où quand on aimait, on le criait.

Des gens qui courent. Qu’est-ce qu’ils sont ridicules. Marchez …

Des enfants qui reviennent de l’école vêtus d’uniformes bleus marine superbes, de képis, de cravates, de chemises blanches d’un blanc du plus propre repassées avec une patience paradoxale qui saute aux yeux. Des enfants qui sans doute racontent à leurs mères pressées les moindres petits détails, de la jolie maitresse à la petite chipie.

En face, la rue où habite mon premier amour. Celle que j’évite chaque jour, gracieusement, presque instinctivement, par le plus grand des détours.

Sur le sol et dans un coin discret, un mendiant qui, comme moi, observe les gens brûler le temps qui passe. Et se bruler les doigts avec. Un mendiant qui, lui, au contraire, ralentit le temps. A la bouteille.

Et puis le feu. Toujours là, debout, immobile, ne se lassant jamais de la comédie. Et venant de m’offrir, depuis des mois, mon premier moment de lucidité. Entre le poteau et moi, un tout début de complicité ...

vendredi, septembre 03, 2010

Plan B

On dit souvent qu’on habite une langue, plutôt qu’un pays. En connaitre le vocabulaire, dans sa richesse et sa profondeur. En connaitre ses subtilités et ses expressions insensées. En connaître ses racines, son origine, la prononciation de ses syllabes et la conjugaison de ses verbes …  Faire des fautes d’orthographe. Et de grammaire. Utiliser un mot au mauvais endroit et dire une pure connerie sans le réaliser. Pouvoir demander son chemin, s’acheter un café et dire qu’il fait beau.

Oui, je comprends très bien le rationnel derrière une telle affirmation. Pouvoir se plaindre, protester, discuter sur un bar, demander de l’aide, exprimer son amour et… se faire comprendre. Quoi de plus pour se sentir bien intégré ? Quand on est compris. Quand les mots ne souffrent plus pour sortir. Quand le tout vient naturellement …

La langue est ce que l’on peut acquérir de plus précieux et de plus profond d’un pays. Comme un cadeau de ses ancêtres, comme une preuve de son histoire, comme une expression de sa personnalité, comme un objet que l’on transmet, comme une convention implicite de solidarité… comme un secret mal gardé.

Je connais la langue. Et ce pays ne peut plus se prétendre étranger. Parce que j’ai tout fait pour l’apprivoiser. Pour le connaître. Pour lui voler ses secrets. Doucement. Pour le sentir de plus près. Pour lui donner en retour aussi. Un peu. Moins.

L’aisance de la communication nous rend vite complice. Et les contributions sont réciproques. Je lui raconte d’où je viens. Il s’en fout. J’écoute surtout ce qu’il dit. Il paraît qu’une Reine y vit. Quelque part. Que les gens aiment beaucoup la bière. Que sa couleur préférée est le gris. Que son métro pue la sueur. Et que le parc est possédé par les écureuils.

La langue devient mienne. Et le pays aussi, du coup. Je réfléchis en anglais désormais.
 
Mais un jour, dans une rue qui me semble tout à coup étrangère, et dans un pays qui s’en fout comment je vais, j’oublie la langue et son histoire, les saucisses, le gris et les écureuils.

Je veux prendre mes cliques et mes claques, et aller retrouver mon plan B. Parce que l’avantage d’être étranger… c’est que l’on peut toujours retourner chez soi quand ca ne va pas. Là où quand on est fâché, les rues chuchotent des mots gentils… en arabe.  Et en français. Là où l’on n’a pas besoin d’apprendre la langue pour habiter le pays. Parce que la langue je la connaîs. Et le pays coule dans mes veines.