mardi, décembre 02, 2008

Mon ange, j'arrive

C'est le style de nuit ou l'on decide de dormir tot pour faire passer les heures, pour que ce soit enfin le matin, pour ouvrir les yeux et devoir enfin faire le voyage en train pour le voir, pour un diner avec lui, pour ses bras qui me serrent, pour son sourire reconfortant, pour un moment complice, pour une soiree qui ne ressemble qu'a nous... C'est aussi le style de nuit ou l'on ouvre les yeux avec beaucoup de dynamisme pour decouvrir - malheureusement - qu'il n'est que minuit, que l'on n'a dormi qu'une heure et que le voisin a toujours sa lumiere allumee...

C'est le style de nuit ou l'on decide qu'il est enfin temps de bruler ces derniers kilos accumules entre le marchand de glaces, la pizzeria de la place, la creme chantilly et les machines haribo, ou l'on mange une salade verte et que l'on decide de se mettre au lit pour ne plus rien mettre en bouche et que l'on finit par se retrouver, une fouchette a la main et une conscience en promenade, devant un frigo qui connait bien nos betises, a grignoter une tarte aux pommes pour finir par la devorer en entier et n'en garder qu'une assiette vide qui se moque de nos faiblesses et vante ses pouvoirs de seduction...

C'est le style de nuit ou je ne sais trop quoi penser de moi, mais oh que trop quoi penser de toi... C'est le style de nuit ou j'adore Paris mais ne puis m'empecher de l'associer a une ville sans toi.

C'est le style de nuit ou je t'aime plus que jamais, comme j'aime Paris et les souvenirs qu'elle renferme, comme j'aime Paris et toutes ces confidences que je lui ai faites, comme Paris et nos discussions qui ne servent a rien, comme toutes ces choses que j'aurais voulu faire avec toi, ici... mais qui restent pour le moment une promesse entre la ville et moi.

C'est le style de nuit ou je decide de marcher dehors, pour me changer les idees ou pour m'en trouver de nouvelles je l'ignore, pour sortir et avoir froid jusqu'aux os et retrouver un sourire innocent qui se marie tellement bien avec un nez devenu trop rouge.

C'est le style de nuit ou je decide de rentrer sachant qu'il va falloir bruler dix heures de plus, dix heures avant de ne pouvoir faire ma valise, dix heures avant que je ne puisse te dire "Mon ange... j'arrive".

jeudi, novembre 20, 2008

Il parait qu'elle se marie...

Je me souviens d’avoir assiste, avec mes parents, aux plus belles ceremonies de mariage. C’etait souvent en mai, au meme moment ou l’on voit apparaitre les coquelicots, les cyclamins et les marguerites. Je me souviens tres bien des mariees, toujours ravissantes dans des robes de princesse. Je me souviens des eglises, majestueuses et si bien decorees. J'avoue ne pas trop me souvenir des maries, occupant un poste secondaire selon mon jugement d'enfant. Et je me souviens surtout des delicieux eclairs au chocolat, des petits bonbons entoures de rubans en soie et des grains de riz qu’on lancait... je ne sais trop pourquoi.
Je me souviens des klaxons de voitures interrompant nos jeux d’enfant et devoilant a nos yeux bien ronds de curiosite, un bras de femme saluant notre innocence et annoncant une histoire d’amour sur le point de s’officialiser.
Je me souviens du mariage de mon oncle qui m’avait choisie comme fille d’honneur. Je n’avais aucune envie de porter une robe en jupons, ni un noeu rose autour de la tete, ni des ballerines vernies. C’etait une phase ou je preferais jouer avec les garcons et j’avais peur qu’ils ne se souviennent que je n’etais qu’une fille et qu’ils me rejettent de la bande. Je n’avais surtout pas le courage de traverser l’allee de l’eglise sous le regard attentif des centaines d’invites. Mais une fois le moment venu, je me souviens d’avoir ressenti, malgre mon jeune age, une emotion inexplicable. Je ne sais si c’etait la beaute du decor, les larmes dans les yeux des membres de ma famille ou la traine en dentelles de la robe de la mariee que je tenais entre les mains.
Une dizaine d’annees plus tard, autour d’un cafe, mes copines et moi partagent surprise et etonnement de savoir que nos amies a nous planifient de se marier. Hier encore on s’echangeait des confidences sur les mecs et collectionnait aventure sur aventure. Le plus incroyable selon l'une de mes amies c’est de savoir que les plus volatiles d’entre nous ont decide de se marier les premieres. D’abord, ca fait drole d’y penser. Et c’est surtout le sujet le plus juteux des dimanches apres midi. Puis ca commence a nous faire peur. Le mariage c’est si difficile apres tout, et la rumeur (appuyee de statistiques) selon laquelle un mariage sur trois finit par un divorce ne manque pas d’etre mentionnee a chaque fois que l’on ouvre le sujet. Ensuite... on se sent si jeunes, si maladroites et si irresponsables pour fonder une famille, avoir des enfants et devoir s’occuper de quelqu’un d’autre que notre petite personne. Et puis surtout, nos carrieres se dessinent a peine et on a toutes pu, malgre nos sorties irraisonables et nos vies amoureuses toujours bien mouvementees, reussir nos etudes et developper un gout pour la reussite.
Et puis un jour... ma soeur m’annonce qu’elle decide de se marier. Si le mariage de mes amies a impose une rencontre cafe illico pour commentaires futiles et rires inoffensifs, la nouvelle du mariage de ma soeur m’a laissee bouche bee quelques minutes et perdue les minutes suivantes. Je ne sais pas quel sentiment a prevalu. Le bonheur ? La peur de la perdre ? La jalousie de cet homme qui a reussir a conquerir son coeur ? L’incomprehension face a cette decision que je n’ai su voir venir ? La peur que ce ne soit un mauvais choix ? Des questions qui restent en suspens car nul ne peut predire l’avenir et nul ne peut voir a travers le nuage que cree l’amour. Des questions balayees par un enthousiasme a retardement concernant la robe, les fleurs, la musique et surtout... les eclairs au chocolat.
D’abord les amis de mes parents. Ensuite nos amis. Et puis nos freres et soeurs. Peut-etre meme un jour, dans l’avenir proche ou lointain, nous memes.
Le mariage libanais, cette ceremonie grandiose qui rassemble les membres de la famille, les amis intimes, les voisins du village, les amis des voisins, les collegues du travail, les amis d’enfance et tous ces gens qu’on ne connait meme pas et qu’on croit invites du mari nous plongent tous dans un tourbillon assourdissant ou chacun se croit occuper le meilleur role. Meme si, bien evidemment, en tant que temoin, c’est le mien qui soit le plus important.
Mais au dela de cette fete qui amuse tout le monde et alimente les bavardages du dimanche matin des femmes du village, critiquant robe, nourriture et temperature, on ne peut esperer qu’une vie commune fondee sur l’amour mutuel, le partage et le respect. Et entre temps, bien sur, profiter de cette fete qu’on attend toute l’annee pour boire, rire et surtout... attraper le bouquet.

mercredi, octobre 01, 2008

Des gens honnetes

J’ai eu la chance de grandir dans une famille qui a le sens du travail. Mon grand pere avait eu la sagesse de transmettre a ses enfants, dont mon pere, des valeurs nobles que mes parents nous ont transmis aussi. Il tenait surtout a ce que ses enfants ne touchent pas a la drogue, ne jouent pas aux cartes et ne fassent partie d’aucun parti politique. Trois regles tres simples que ses enfants ont respectees. Trois regles qui sont sans doute a la base de leur succes.
Je n’ai pas toujours compris la raison de ces interdictions. Pourquoi cet homme qui etait mon grand pere a decide ainsi, et comment a-t-il pu reduire tous les vices du monde en trois simples categories ?
Peu importe. Je comprendrai un jour m’etais-je dit. Et aujourd’hui, je crois que j’ai enfin compris. Un peu trop tard, du bas de mon bureau, je salue cet homme sage qui avait trop compris.
J’ai compris qu’il les voulait libres. Libres de toute sorte de dependance, qu'elle soit chimique, psychologique ou politique. Il les voulait maitres de leurs decisions, libres comme le vent, legers comme l’air. Il voulait qu’ils aient le privilege de s’opposer a tout ce qui pourrait leur etre impose, ils voulaient qu’ils aient la chance de pouvoir changer d’avis, ils voulaient qu’ils aient le pouvoir d’etre d’accord en partie avec un homme politique, et en partie avec un autre, ils voulaient qu’ils soient, tout simplement, hommes.
J’ai grandi dans un pays pollue par la politique. J’ai grandi dans un pays noye par la corruption. Mais j’ai grandi dans une famille qui a constitue, toujours, une sorte de censure pour nous transmettre que le propre, que le vrai, que le naif quelques fois.
J’ai grandi. Et je me trouve blessee a chaque fois que je decouvre que les gens n’ont pas tous grandi ainsi. J’ai la gorge nouee quand je realise, une fois de plus, que la corruption depasse les frontieres de mon pays, et qu’elle est propre a l’homme de quelque nationalite qu’il soit.
Je ne sais pas s’ils ont bien fait mes parents, de nous avoir fait grandir dans tant de purete et d’avoir fait de nous de grands enfants.
J’ai toujours pense que le travail quotidien et l’integrite pouvaient ouvrir toutes les portes et etre la clef du succes. J’ai realise que les choses ne se passaient pas toujours ainsi. Pour survivre dans ce monde, il faut etre, dans une certaine mesure, corrompu. Mais je me demande si l’on peut l’etre si l’on a jamais ete injecte de ce remede pendant l’enfance.
J’ai grandi dans cette famille dans laquelle je puise toutes mes forces, mon identite et ma raison d’etre. J’ai grandi dans cette famille qui travaille dur pour m’offrir tout ce que j’ai et tout ce que je suis. J’ai grandi dans cette famille qui a merite tout ce qu’elle a eu.
Et meme si c’est trop dur quelques fois, pour ce coeur d’enfant et cette conscience tranquille, je vous remercie d’avoir fait de moi et de mes freres, des gens honnetes. J’en ferai de meme pour mes enfants.

dimanche, septembre 28, 2008

Eponge

Portugal? Sept mains se levent. Grece? Une vingtaine se disputent l’attention du prof. Russie ? Trois doigts discrets repondent a l’appel, presque en cachette. Italie ? Un accent qui chante raconte pizza et spaghetti. France ? quelques parisiennes se font reconnaitre sans provoquer la moindre surprise ; elles sont reconnaissables par leur accent francais et par le chic inimitable de leurs tenues. Portugal, Espagne, Monte Carlo, Turquie... Pas d’appel pour le Liban. Je proteste. Je viens de Beyrouth. Le prof acquiesce sans grand enthousiasme, ce qui m’exaspere.
Je passe le reste de la journee a expliquer a mes collegues l’emplacement geographique de mon cher pays, sa cuisine traditionnelle, ses plages, ses montagnes majestueuses, ses cedres, ses eglises, ses mosquees, son centre ville, ses ports, ses filles, ses bars, ses boites de nuits, ses cafes, ses habitudes, ses soucis, ses blessures, ses amis, ses ennemis, ses guerres, ses voisins, ses matins... et ses nuits. Je leur parle d’un pays qu’ils connaissent a peine a travers des chaines de television menteuses ou des premieres pages de journaux qui pretendent connaitre la verite. Je leur parle d’un pays qu’ils ignorent completement pour certains. Je me surpends a le defendre, a combattre des prejuges, a expliquer qu’il neige a beyrouth et qu’il y a des plages aussi, qu’il n’est pas interdit de se ballader en jupe dans la rue et que non, ma tenue n’est pas propre a londres mais d’usage dans mon pays egalement, que chretiens et musulmans se cotoient en paix et sont parfois meilleurs amis, que l’arabe est notre langue natale mais que nous connaissons egalement le francais et l’anglais... Je passe ma journee ainsi, blessee de tant d’incomprehension, surprise de tant d’ignorance.
Je leur parle de leurs pays et des endroits qui m’ont touchee, de leurs cuisines, de leurs cultures, de leurs habitudes. Je leur parle de ces choses que tout libanais sait spontanement, sans effort particulier, du seul fait d’exister.
Sur le chemin du retour, je me sens fatiguee. Vivre a l’etranger ressemble un peu a une lutte pour changer l’image de mon pays prefere. Peut-etre suis-je trop sensible, trop susceptible ou trop exigeante...
Je ne comprends pas comment on puisse ignorer un pays qui a sa place la carte du monde ou tout simplement dans le jeu Risk. Je ne comprends pas comment on puisse ne pas savoir qu’il y existe des plages et les plus belles soirees.
Le chemin est long. Je regarde Londres de par une vitre mal essuyee. Je respire la ville et tente de retenir la chronologie des rues. Je fais l’effort de regarder le paysage que je traverse tous les matins d’un oeil nouveau car je ne sais quand je devrai quitter. Je decouvre de nouvelles boutiques, des arbres que je n’avais pas remarque, des terrasses de cafe, des restaus accueillants et j’inscris tout, comme pour ne pas oublier.
Je me sens triste de devoir faire la publicite d’un pays tellement beau que le monde devrait venerer. Je ressens une injustice qui me dechire et une incomprehension que je n’arrive pas a detruire. Je ne sais pas si je suis convaincante, mais demain, je leur montrerai des photos, et je leur ferai un plat ou deux que j’ai appris de ma mere avant de venir. Je deteste leur regard vaniteux des grandes villes et leur esprit borne.
Je me demande comment les libanais, avec tous les problemes qu’ils cotoient tous les jours, connaissent si bien le monde et pourquoi le monde les connait si peu...
Et puis je me surprends en train de sourire, d’un sourire spontane et surtour repose... Je comprends enfin leur misere. Nes dans les plus grandes capitales, sous le regard influent de leurs chefs politiques, au sein de leurs economies dominantes, ils croient tout avoir et tout posseder. Et surtout... qu’il n’existe rien ailleurs.
Nee a Beyrouth, dans un pays plus petit que ses reves, j’ai du connaitre le monde, apprendre les pays, considerer les continents, pratiquer trois langues, etudier pour pouvoir eventuellement partir. Bref, j’ai du m’epanouir.
Plus grand est le pays, plus petit est l’esprit. Petit est le liban, vaste... vaste est notre esprit.
D’une fenetre mal lavee, j’absorbe autant que possible. Aujourd'hui, je suis eponge.

vendredi, septembre 12, 2008

Les carnets

Au coin de ma rue, un magasin plein de couleurs m’attire toujours l’attention. Je me dis que je devrais y entrer, faire un tour et voir de quoi il s’agit. Mais je remets toujours ca a plus tard en me disant que de toute facon c’est tout pres de chez moi. Et que j’aurai tout le temps l’occasion d’y passer.
Puis je realise que je commets la meme faute que d’habitude : je neglige les choses qui m’entourent et prefere toujours les longs trajets pensant que j’aurai une possibilite ulterieure de decouvrir mon entourage. Et je pars, souvent, toujours, sans l’avoir fait. Revoltee par ma propre pensee, j’oublie mes bras encombres et j’entre faire un tour dans cette boutique-compte de fee.
A ma grande surprise, non seulement etait-elle faite pour moi a cause de la multitude de couleurs qui se disputent et se rencontrent mais aussi a cause... du papier. Tout etait en papier : des enveloppes, du papier a lettre, des etiquettes, des cahiers, des agendas, des calendriers, des post-its, des classeurs et surtout... des carnets.
Je touchai emerveillee les differentes textures en passant du carbon au calque au crepon au glace au canson a l’adhesif en les portant quelque fois, discretement, vers le nez pour sentir l’odeur du papier frais.
Mais ce qui faisait de cet endroit mon paradis etait le nombre impressionnant de carnets aux motifs divers. Je ne pus m’empecher d’en acheter, comme si ma collection etait prete de s’epuiser.
Et sur le chemin du retour, je commencai a reflechir aux listes nouvelles a creer afin de remplir mes carnets. J’avais deja une liste de courses, une liste de choses achetees, une liste de sentiments eprouves durant la journee, une liste d’endroits a decouvrir, une liste de choses a lire, une liste de calories consommees, un carnet de recettes de cuisine, un carnet d’addresses, un carnet d’anniversaire, un carnet d’amis, un carnet d’ennemis...
Je realisai tout a coup combien de temps je consacrais a vouloir mettre de l’ordre dans ma vie. Et combien j’etais ridicule de croire qu’en les inscrivant, les choses devenaient plus maitrisables voires controlees. Je realisai que de l’ordre dans mes cahiers, des points a la ligne et de l’encre bleue soigneusement choisie ne changeaient rien a ma vie spontanee et impulsive, a mes erreurs, a mes betises, aux mots que je dis trop vite, aux reactions que je ne sais controler, aux secrets que je n’ai jamais su cacher, au manque de diplomatie dans mes relations, aux bars de chocolat dans le tiroir de ma table de nuit que je n’inscris pas parce que c’est la nuit et le carnet enferme les calories du jour, aux recettes que je change malgre les directives severes du site duquel je les pique parce que j’aime plus de chocolat, moins de beurre et des framboises sur le dessus pour decorer...
Inscrire... Pourquoi ? Pour controler ? J’inscrirai toujours, et je dresserai des tableaux, je creerai des listes, des numeros, des parties et des sous parties... Rien que pour sentir que je maitrise ma vie. Mais une fois le carnet referme, j’irai a la patisserie d’en face, et je mangerai toutes les tartes que je trouverai. Tant pis pour le carnet.

jeudi, septembre 11, 2008

Grand ecart

Juin 2008: il est midi. Et je suis encore au lit. Mon seul souci depuis des mois etait celui de reussir mes examens. J’ai bosse plus dur que d’habitude pour rattraper le temps perdu avec ceux qui n’avaient pas a bosser. Ce matin de juin 2008, je suis toujours au lit. A midi. Parce que j’ai tout fini. Ou presque. Il n’y a plus qu’a attendre les resultats. Et m’occuper au max pour ne pas y penser. Les yeux clos, je cherche d’une main a moitie reveillee un cafe qu’on m’a prepare. Je ne prends pas le temps de songer a la main sensible qui me l’a fait avec amour. La chaleur me guide. Je le retrouve. Je le rapproche de mon nez pour l’humer et laisser l’arome du cafe envahir mon corps repose. Je le bois doucement tout en reflechissant a ma tenue pour la journee. Je vais la passer a la plage, dejeuner avec mes copines et ensuite aller chez le coiffeur pour un brushing bon marche digne d’une belle soiree dans le seul bar de beyrouth. Je prends ma douche, jette mes habits par terre et sort d’un coup, sans soucis majeurs, sans travail domestique, sans penser une seconde a ceux qui le font... pour moi. Tout ce que je sais, c’est qu’a mon retour, tout sera bien range, repasse, parfume. Comme par magie.

Septembre 2008 : il est huit heures. Je suis debout. Car avant de sortir, j’ai la vaisselle a faire, la poussiere, le lit et le rangement quotidiens. Ma main cherche sur la table de nuit un cafe qu’elle ne trouvera pas. Un sourire se dessine sur ma bouche. Un sourire de pitie qui se moque de la fille que j’etais. Je m’habille en vitesse. Mais je ne jette rien sur mon chemin, pour ne pas creer de travail supplementaire. Je vais en cours. A pieds. Je me souviens de ma voiture aussi paresseuse que moi et je lui fais une priere silencieuse. Il est dix huit heures. Mes cours termines, je fais les courses, pour avoir quelque chose a grignoter. Je porte mes sacs et je prends des pauses quand leur lourdeur m’empeche de continuer. Arrivee devant une porte a deux clefs, un tour de magicienne s’impose pour pouvoir entrer. Car il faut inserer les deux clefs en meme temps, tout en faisant gaffe de ne rien faire tomber et de ne pas casser les oeufs dans mon sac a papier. Ma vie change. Et il etait temps de sortir de mes habitudes de libanaise gatee. Je reflechis a cet ecart qui s’est dessine en l’espace de quelques semaines. Et aux sacs qui m’obligent, afin de pouvoir entrer dans ma chambre, pour ouvrir cette porte a double clefs, de reviser mon grand ecart. Je ne veux pas y retourner. Car malgre tout le travail qu’on me faisait et le merci que j’oubliais si souvent (toujours) de prononcer... je me sens enfin reposee.

Merci a tous ceux qui m’ont fait, un jour, mon cafe.
Et mes sinceres excuses aussi...

lundi, septembre 01, 2008

Illusion optique

Un bruit rythme et bien etrange me reveille. Je ne comprends pas tres bien. Quelques minutes s’averent necessaire pour que ma memoire me situe dans l’espace et dans le temps. Mais le bruit ne s’explique toujours pas. Sur ma fenetre, pas d’oiseaux. Et dans mon appart, que moi. D’ou vient alors ce bruit que je ne reconnais pas ? Je me frotte les yeux pour retrouver, apres la memoire, peut-etre le cerveau. Mon nez sur la vitre, je regarde vers le bas et trouve enfin une explication. Je suis dans une grande ville. Et la somme des pas presses des passants produit tout ce chaos. Je fais vite pour descendre. Parmi tous ces gens, comment se sentir seul ? Parmi cette foule, il devrait sans doute y avoir quelques nonchalants qui n’ont rien a faire ce matin, comme moi.
Du monde partout. Sur les terrasses des cafes vantant un soleil rare et quasiment impossible, sur des trottoirs hautains d’etre trop occupes, dans les files des supermarches a toute heure de la journee, sur les escaliers roulants du metro, dans les restaus, a la poste, dans les parcs et dans les boulangeries... Que du monde, que du bruit, que des gens qui courent. Je me perds dans la vitesse et je cours aussi oubliant que j’ai toute la journee a perdre... ou a gagner.
Je me suis bien entouree. Ou plutot... trop. Illusion optique. Car je marche seule, je rentre seule, et devant ma tele, je ris seule et je dine en solo aussi. Une trop grande ville. Mais dans mon tout petit village que je considerais ville au Liban, dans une maison « au fin fond du monde » comme disent mes amis, avec un seul voisin de l’autre cote de la rue et un autre au bout de l’allee, dans une maison que ma mere a pris le soin de decorer, autour d’un diner saupoudre d’amour et de bonte, je me sentais beaucoup plus chaudement entouree.

vendredi, août 22, 2008

Le compte à rebours

Le voyage se banalise de plus en plus. Tous les jours, des amis rentrent passer un week-end à Beyrouth, des cousins font leur valise pour des vacances sur une île, des voisins voyagent se marier civilement à l’étranger, une fille choisit soigneusement ses habits pour passer une semaine chez son fiancé parti travailler à l’étranger, un étudiant embrasse sa mère pour partir faire un stage en Europe, un père pose, machinalement mais majestueusement, un beau képi pour aller retrouver son avion, sa seconde maison …
Le voyage se banalise depuis que les billets d’avion se font plus abordables, depuis que les familles se dispersent et depuis que les ambitions débordent des frontières.
Il suffit d’une simple invitation tentante, de quelques économies, d’un goût quelque peu accentué pour l’aventure pour faire un pas, et puis deux, et s’évader un moment… ou plus.
Mais il en est autrement quand le voyage est à durée indéterminée. Cette envie d’escapade, d’aventure, de découverte et de repos laisse la place au doute inévitable face à l’inconnu, à l’angoisse de ne plus jamais revenir à son pays et la peur de ne jamais pouvoir transformer le pays de destination en un « chez soi ».
Savoir la date du départ crée un drôle de sentiment, semblable peut-être à l’hypothèse utopique d’une mort fixée à l’avance dans le sens où l’on sait combien de jours il nous reste, et on compte bien en profiter jusqu’au bout, jusqu’à la dernière seconde, sans retenue et sans modération.
J’ai toujours su qu’il en serait ainsi. Et j’ai toujours pensé que les derniers jours avant mon départ seront passés inlassablement sur une plage beyrouthine et que les dernières nuits seront blanches, dépensées dans le bar le plus branché de la ville et bien arrosées.
Il en fut autrement.
Curieusement, sachant que je ne reviendrai plus avant longtemps, j’ai ressenti le besoin de passer le plus clair de mon temps tantôt bien installée dans un canapé qui me connaît bien, creusé au milieu par mes propres fesses à regarder des séries que je connais par cœur aujourd’hui, et tantôt sur la table haute de la cuisine à déguster avidement des gâteaux parfumés et enfumés très fraîchement sortis du four et des petits biscuits qui ont le goût du chocolat, de la vanille, de l’orange et surtout… de ma maison.
Et pour la toute dernière soirée, quoi de plus évident qu’un dîner entre meilleurs copines, comme toujours et sans grande cérémonie, le verre de vin ennuyé des conversations pathétiques d’habitude – mais si amusantes – et l’esprit prêt à se défouler sur les gens de passage et sur les pizzas succulentes du nouveau italien.
Enfin, et pour éviter des adieux superflus et peu agréables, finir par une promesse écrite – réflexe de juriste – que je fais signer à mes copines de venir me visiter dans 10 jours exactement, ni plus ni moins, pour jeter dans les rues de cette ville encore étrangère, un peu des étincelles de nos vies.

A Gaelle qui part aussi...

lundi, juillet 28, 2008

Un regard libanais

Je me balade incognito dans les rues de la ville. Je ne connais personne et personne ne me connaît. Aucune tête ne m’est familière, aucune voix ne m’appelle et aucun parfum n’éveille mes sens. Je me réjouis de cette promenade solitaire amusée par l’espace qu’offre l’étranger et par la liberté de sortir mal coiffée.
Je marche dans la foule essayant de me frayer un passage. Je ne suis ni pressée, ni fatiguée. Je marche pour marcher.
J’essaie de croiser le regard d’un inconnu charmeur. Mais le regard fixé devant lui, il ne semble même pas me remarquer. J’apprécie la discrétion des gens et je savoure le bonheur d’une journée tranquille. Personne ne semble se soucier de la couleur de mes chaussures, de la taille bizarre de mon t-shirt suite à un lavage raté en machine ou du vert affreux de mon short en jeans.
La capitale est vaste. Vaste est mon esprit. Le vent me déchire le visage. Je le laisse faire sans aucune retenue. Des épaules me frôlent de temps en temps, sans intentions, sans grande attention. Je sens la ville sur ma peau. Je la respire aussi profondément que possible.
Je ne veux pas rentrer. Que faire dans un tout petit appart pas encore meublé. Sur les paves des trottoirs, au milieur de nulle part, je suis bien.
Mais au bout d'un moment, quelques minutes ou quelques heures plus tard (je n'en sais rien), je pense à mon tout petit pays et à son peuple. Curieusement, je pense à ceux que je croisais tous les jours sur le chemin de la fac et que je saluais bêtement d’un signe nonchalant de la main. Aussi, je pense au regard indiscret de cette voisine que je déteste qui dégageait son rideau d’un geste agaçant de l’index pour savoir à quelle heure je sortais, à quelle heure je rentrais et qui me raccompagnait. Je pense aux murmures aussi pathétiques que jaloux des libanaises de mon âge qui, comme moi et mes copines, se lancent des critiques du genre « trop ronde », « trop maigre » avant de lever un verre de rosé frais tout en riant…
Mais surtout… je pense aux hommes de mon pays qui suivent le balancement de nos hanches, le vol d’une mèche de cheveux et le mouvement de nos lèvres pulpeuses trempées de vin et trop ivres pour prononcer un seul mot sensé.
Oui… ce sont surtout tes mots qui me manquent. Ta main qui caresse le creux de la mienne. L’hésitation que t’avais à toucher mon épaule. Et ton regard baladeur.
A l’étranger, le respect de la vie privée, l’intimité, le repli sur soi, l’individualisme, bien sûr. Mais à l’étranger, qui sait que l’on existe ?
Je pense à Beyrouth. Aux regards insistants de ses hommes dragueurs qui nous font rougir d’indécence et de plaisir. Je pense à leurs mots ridicules et vulgaires qui réussissent, à chaque fois, à nous voler un sourire. Je pense à leurs gestes aussi maladroits que galants. Ici, j’existe. Car sur le bar de la ville, j’ai bien senti ton regard posé sur mon dos. Je ne me suis pas retournée. Non. Mais j’aurais pu, sur ma vie et la tienne, sans hesitation, te le jurer.

mercredi, juillet 09, 2008

Deux hommes à Beyrouth

Il l’aime sec. Son whisky. Pour accompagner des mots parfois secs aussi. Il adore parler politique. Il en parle d’un ton détaché comme d’un jeu dont il connaît les règles désormais. S’il est fort et malin, c’est parce qu’il y joue sans émotions et que sa vie n’en dépend pas. Loin de là. La politique n’est qu’un loisir de plus à côté du golf et de ses soirées mondaines. Aussi, le sujet de conversation qui l’attire le plus. Il se sent en pouvoir et il cache, par des mots complexes et prétentieux, un vide pathétique qui ronge sa vie.

Pas très loin de chez lui, un autre s’endort sans dîner sur un matelas déchiré. Il ne parlera pas politique. Il ne parlera pas du tout. Il est trop fatigué depuis que ses journées durent 18 heures. Il se fout de la politique et se laisse abattre par des soucis plus urgents, des soucis du moment, comme nourrir ses enfants. Non, il ne dira rien. Il avalera sa peine pour vivre dans l’honneur que ses parents lui ont transmis et il souffrira en silence pendant qu’un autre sirote son scotch et prétend savoir tout de lui.

Entre les deux, quelques arbres, des rues remplies de ceux qui ont le droit de dormir le jour et sortir la nuit, quelques restaus fréquentés par des visages d’habitude, des klaxons qui ne se soucient du sommeil des enfants et des bars vulgaires qui vomissent l’alcool et l’excès. Le premier se dit penchant pour un parti ou pour un autre. L’autre se moque bien des partis, pourvu que sa famille ait ce soir un lit.

Politiques du monde parlent de ces choses que l’on ne comprend pas, de dangers futurs, d’armements nucléaires, de guerres froides, d’ennemis, de l’augmentation du prix de pétrole, d’une inflation des produits alimentaires, de majorité, d’élections pendant que d’autres, bien plus honnêtes, verraient bien quiconque au pouvoir au prix de la paix. La politique pour ceux qui s’ennuient. La politique est un sport de luxe qui consiste à faire gagner le plus grand menteur, celui qui bluffe sans broncher, qui tient un discours solide sans y croire une seconde, qui s’excite devant les regards admirateurs.

Les autres, pas très loin, ont des soucis plus urgents, des soucis du moment, qui consistent à se battre tous les jours contre la mort afin de se procurer de la nourriture pour le corps. Ceux-ci sont ceux qui ressentent réellement l’inflation, ils la ressentent par leur chair alors que les premiers ne la remarquent qu’à travers des statistiques de riches. D’ailleurs, ils préfèrent les produits de luxe. Or ceux-ci sont, depuis longtemps, plus taxés. Leur situation demeure donc inchangée..

Politiques, parlez de choses qui nous intéressent, de ces choses qui nous concernent directement, d’écoles publiques et de réseaux d’irrigation, de musées et d’allocations sociales, d’égalité des chances et de routes salubres… Pensez à ceux qui, pendant que vous buvez votre whisky d’un coup, sont à la recherche d’eau potable.

Riche du temps

Combien de fois ai-je bousculé un moment pour vivre un autre et le bousculer à son tour ? Combien de fois ai-je snobé le soleil tant attendu pour une sieste qui sera elle aussi interrompue par un programme plus alléchant qui s’avère être sans grande importance ?
Combien de fois avons-nous eu le regard distrait en cours et les jambes incontrôlables, l’esprit ailleurs et le regard vagabond qui ne se pose que sur le cadran d’une montre qui meurt d’ennui, en attendant impatiemment une courte mais délicieuse pause de 10 minutes pour un café hors de prix qui, de nos commentaires, se réjouit ?
Combien de fois me suis-je échappée de ces interminables déjeuners de famille pour passer une heure dans l’embouteillage du dimanche à Beyrouth et retrouver des copines autour d’un espresso qui sera vite avalé… vite oublié…
Combien de fois avons-nous souhaité sauter dans le vide de par la fenêtre d’un bureau trop étroit à notre goût, et y laisser des dossiers lus à moitié et pas toujours compris pour ensuite mettre fin au calvaire et regretter ces moments de productivité quand c’est l’oisiveté qui, à son tour, nous détruit ?
Combien de fois ai-je mis un terme à une conversation devenue bien monotone pour passer à des choses que je jugeais plus utiles pour aujourd’hui pleurer de remords et vouloir tout donner si seulement je pouvais entendre sa voix à nouveau…
Combien de fois ai-je regardé les avions qui décollent et sentir pincer mon cœur tellement j’avais envie d’être dans un autre pays pour ensuite partir avec une grosse valise m’installer dans une ville qui ne me remarque pas et pleurer de dépaysement dans ses rues anodines sans passé en pensant à la cuisine de ma mère et à la voix grave de mon père qui me réveille en sursaut après les lourdes nuits des samedis soirs de mon pays…
Combien de fois avons-nous préféré une salade de fruits à un fondant gracieux pour brûler des calories imaginaires et se priver d’un plaisir pur pour un jour réaliser que la vie nous file entre les doigts ?
Et puis un jour, sur une table qui nous connaît un peu trop bien, nous rions de nous-mêmes et nous nous trouvons bien ridicules. Nous osons à peine en parler mais tout est tellement clair qu’il nous suffit de se regarder. Nous avons tout fait un peu trop vite croyant profiter de la vie et la croquer à pleines dents. Nous avons voulu trop faire pour construire de beaux souvenirs et ne jamais rien regretter. Nous avons presque tout bousculé, tout précipité et quelques fois tout brûlé. Nous avons eu beaucoup de chance, à des moments, sans jamais la sentir, sans jamais la remarquer, sans jamais l’apprécier. Nous avons été heureux, mais le bonheur du moment a toujours été effacé par l’envie du moment qui suit. Nous avons ri, un peu pour les autres. Nous nous sommes privés, toujours pour l’image, et rarement pour soi.
Il est primordial d’être heureux. Mais il est indispensable, pour atteindre le sommet du bonheur, de s’en rendre compte. Etre heureux et le réaliser. Le réaliser pour le vivre pleinement et jusqu’au bout. Surtout ne jamais courir.
Oui, j’ai brûlé des calories, brûlé des moments, brûlé la vie. Mais aujourd’hui, je suis riche du temps. Aujourd’hui, je veux vivre chaque instant.

samedi, juin 07, 2008

Ne dormons pas fâchés

Toutes les relations réussies sont basées sur certaines règles personnalisées propres au couple en question. Certains se mettent d’accord sur des principes de base comme la fidélité, le respect, la franchise et l’amour réciproque. D’autres règlementent leur vie commune dans ses plus petits détails, des détails un peu bizarres parfois, un peu incompréhensibles et absolument absurdes peut-être, mais respectables car ayant pour finalité le succès d’un engagement.

Certains décident par exemple de ne jamais parler de leurs problèmes aux autres, de ne pas sortir en boîte sans le partenaire, de ne pas se laisser offrir un verre, de tout se raconter, de garder la relation secrète, de ne pas fréquenter certaines personnes, ou encore, pourquoi pas, de ne pas porter du rouge. Ces règles ne doivent pas nécessairement être logiques ou explicables mais émanent d’une volonté commune, et c’est ce qui les rend exceptionnelles.

Ne dormons pas fâchés. Simple. Unique. Mais nôtre. Nous pouvons déconner durant la journée, se dire des bêtises dans la soirée, se disputer comme des malades, se traiter de tous les noms, faire des crises de jalousie, emprunter un comportement possessif et quelques fois bien excessif, se déchirer, se blesser intentionnellement, se détruire, tourner le dos, atteindre ses limites… mais nous ne dormirons pas fâchés.

Règle claire, règle paisible, règle naïve. Règle que tu as créée. Règle que j’ai adoptée. Nous traiterons chaque journée dans son individualité, chaque soirée dans son existence propre, chaque coup de tête séparément, chaque insulte dans sa fraîcheur, ce qui évite l’accumulation des soucis, des malheurs, des problèmes de couple et surtout -j'ai failli l'oublier- ce qui offre une bonne nuit de sommeil. J’aime cette règle. Elle me garantit de très beaux rêves.

Tout peut se défaire. Mais aux douze coups de minuit, la paix doit être faite. Ce soir, violation suprême d’une loi jusque là respectée religieusement. Ce soir, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit après un jeu alterné de téléphones qui sonnent sans réponse et de messages agressifs et désespérés. Ce soir, tu dors peut-être. Mais moi, j’ai le cœur qui fait un bruit insupportable et m’empêche de dormir. Je ne sais pas si c’est la violation de la règle en soi qui m’indigne ou si c’est cette crampe à l’estomac que je n’arrive à ignorer. Puis soudain je réalise, en bon juriste, que la règle n’a pas été violée. Espoir: le couple peut être sauvé. Je n’ai pas dormi fâchée. Parce que je n’ai pas dormi du tout…

samedi, mai 31, 2008

Dans un petit quatre mètres carrés

L’indépendance. But ultime de tout pays. Raison légitime de toute guerre. Cause justificative de tout crime. Slogan prétentieux du monde moderne. Conquête des femmes du 20ème siècle. Lumière dans les yeux d’un étudiant de 21 ans.
Nous prétendons tous être indépendants. Ou vouloir l’être, quand on ne l’est pas déjà. Nous travaillons en fonction de cet accomplissement. Et nous vantons toute réussite nous rapprochant de ce terminus.

Mais qu’est-ce que l’indépendance ? Est-il indépendant quand il ne peut démarrer sa soirée sans un verre dans une main et une cigarette dans l’autre ? Est-elle indépendante quand elle se décommande à la dernière minute parce que son chéri avait prévu d’autres plans ? Puis-je me sentir indépendante au volant de ma voiture, roulant à toute vitesse et laissant le vent entrer par la vitre me violer le visage quand c’est mon père qui me la offerte ? Peut-on se prétendre indépendant quand tout jugement extérieur affecte notre vie et détermine nos choix ?
L’indépendance, au sens large, c’est jouir d'une entière autonomie à l'égard de quelqu'un ou de quelque chose. Mais peut-on en jouir à l’égard de tout et de tous à la fois ? En choisissant d’être indépendant à l’égard de quelque chose ou de quelqu’un, ne devient-on pas, automatiquement, dépendant d’une autre chose ou d’une autre personne ?

En choisissant une indépendance financière à l’égard de mes parents, je dépendrais de mon boulot et de la discrétion de mon employeur. En choisissant une indépendance sentimentale et en rompant avec son petit ami de longue date, elle dépendrait désormais des règles du célibat et espèrerait, en secret, une nouvelle dépendance. En décidant de ne plus dépendre de ses amis et de sortir seul prendre un verre pour construire de nouveaux liens, il se surprendrait à voir dans ces liens nouveaux une certaine forme de dépendance qui ressemble bien à celle qu’il a connue et qui ne s’en distingue que par la couleur.

L’indépendance réelle n’existe pas.
Nous cherchons tous des liens. Ils changent dans la forme, dans la nature et dans l’intensité. Mais ils demeurent. Nous avons tous besoin d’avoir besoin de quelqu’un. Mais aussi, secrètement, qu’on ait besoin de nous. Nous cherchons tous une alliance, un contrat, un mariage, un engagement et surtout, quelque part, l’amertume de la rupture. Car sans elle, nos nouvelles dépendances n’auraient plus la même saveur.
Une indépendance ? J’en doute. Sauf, peut-être, dans la tête, après une journée fatigante, dans son lit, quand on se sent tout simplement bien sans raison spécifique et qu’on se surprend en train de sourire, pacifiquement, dans un petit quatre mètres carrés qui nous offre, malgré ses dimensions étroites, un drôle de sentiment… d’indépendance.

mercredi, mai 28, 2008

En solo

Le week-end s’annonce merveilleux. Beau temps, mauvais temps, peu importe. Tenues dénudées du soir et jeans délavés du jour sont tous rangés. Je m’apprête à une soirée d’oisiveté nécessaire dans mon beau canapé usé et désuet à regarder ma série préférée. Il est un temps pour ça. Et je compte bien en profiter.
Je range mes livres, mets mon téléphone en mode silencieux, plie et déplie mes jambes jusqu’à trouver la position la plus confortable et attends avec une impatience d’enfant que commence le spectacle. Je connais par cœur le scénario, les péripéties, les robes de Carrie et les endroits branchés de la série. Mais je n’en ai jamais assez. Et puis j’ai simplement envie d’être seule.
Au menu, pop-corn, coca light et m&ms à volonté. Un peu de défoulement de temps en temps ne peut que faire du bien. J’arrive à peine à croire comment j’ai pu organiser ma soirée. Trouver le temps d’en perdre entre deux examens, s’arranger pour qu’il n’y ait aucune sortie trop tentante et prendre la meilleure place sur le canapé, plutôt rêver ! Et je rêve.
Une soirée pareille est plus difficile à organiser qu’un verre dans la boîte la plus branchée de la ville. Car elle dépend de facteurs rares qui doivent être synchronisés et d’une résistance solide à toute tentation extérieure.
Ce soir-là, tout semblait se dérouler à merveille. Je décidai même de jouer le jeu en empruntant un regard nouveau face à des scènes qui m’étaient désormais bien plus que familières.
Hélas, mon bonheur ne dura pas très longtemps. Il ne dura que le temps de quelques gorgées. Je compris très vite que ma soirée était ratée.
En effet, on vint se joindre à moi. Et on vint rire trop fort à mon goût. On vint me voler ma soirée de bien-être en compagnie de moi-même. On vint critiquer ce qui était, à mes yeux larmoyant, interdit de critiquer. Je venais de subir une atteinte à ma vie privée. Et, victime de ma politesse, je ne sus protester.
Je sors mes tenues du soir. Je laisse mon coca light et mes pop-corn. J’emporte mes m&ms. Bien sûr, je n’allais pas les laisser. Et je quitte, douloureusement, mon cher canapé. Quand on me regarda partir, d’un regard perdu en quête de compréhension, je ne pus m’empêcher de préciser, mi-hésitante et mi-furieuse, que ces choses-là ne se font qu’en solo.

dimanche, mai 25, 2008

Pardon

Ton silence me ronge petit à petit. J’ai voulu te parler mais plus j’attends et moins j’arrive à franchir le pas. « Pardon » me semble être le mot le plus difficile à prononcer. Peut-être juste après « adieu ». J’ai voulu te parler de lui, de nos projets et de ce que j’ai envie de faire cet été. J’ai voulu te demander ce que tu en pensais. J’ai aussi voulu que tu m’aides à choisir une robe pour le mariage d’Alfred. Je me sens transparente. Tu ne me regardes plus. Et je fais semblant de m’en foutre. Mon cœur pèse lourd. Tellement lourd que j’ai du mal à marcher.
Tout le monde me demande de toi. Je dis que tu vas bien, évidemment. Quoi leur dire quand j’ai tellement honte de moi. Et honte de m’être montrée si lâche. Je veux pouvoir te parler, je veux emprunter ton nouveau sac et te promettre de bien m’en occuper, je veux te raconter ma soirée et surtout comment elle m’a regardée, je veux rire avec toi et me plaindre de tout, je veux t’entendre dire que je devrais arrêter de vouloir changer le monde mais plutôt m’habituer à sa médiocrité.
J’ai voulu te parler de mes examens et te demander ton avis sur ma nouvelle coupe de cheveux. J’ai voulu que tu me remettes sur le droit chemin, après que je me sois tellement égarée. J’ai voulu te dire que je t’aime, mais je finis par claquer la porte et par oublier mes clefs.
Quand mon téléphone sonne, j’ai le cœur qui bat fort. J’ai peur que ce soit toi. Parce que je ne sais pas quoi te dire. Mais je suis déçue quand ce n’est que lui. Tout me rend triste et tout me fait pleurer. Je deviens sensible et je t’entends critiquer ma froideur. Je ne suis plus froide. Crois-moi.
J’ai peur de te perdre. Peur que tu ne sois plus là. Peur de culpabiliser. Encore. Je suis toujours égoïste. Non, je n’arrive pas à changer. Mais je veux être quelqu’un de bien. Quelqu’un qui rend les autres heureux. Je n’ai pas réussi avec toi. Pardonne-moi.
Mon examen commence dans quelques minutes. Il faudra parler de ces principes que je ne comprends pas. Je dois rattraper ma note du premier semestre, celle que j’ai eue après mes vacances avec lui. Je dois réussir. Mais je ne fais que penser à toi. Comment rassembler mes idées quand tout me semble si sombre ? Comment réfléchir après une nuit blanche passée à culpabiliser. Je t’écris un message. Un message qui dit pardon. Un message pour t’annoncer ma défaite. Le message le plus dur que je n’aie jamais écrit. Un message pour pouvoir tourner la page et recommencer ma vie. Un message pour que je puisse, peut-être, m’aimer à nouveau. Tu réponds aussitôt. Et tu me dis que tu es là. Que l’as toujours été. Que c’était moi qui ne voyais pas. Tu me dis que tu as confiance en moi. Et que je vais réussir. Tu me dis que tu en es sûre. Mes larmes coulent sur mon cas pratique. Je souris. Je relativise. Derrière moi, la fille pleure aussi. Elle avait bachoté le chapitre relatif au mariage. Elle me voit pleurer et ça la réconforte. Tu m’aimes. Et tout me semble si facile désormais.

samedi, mai 24, 2008

Fan attitude

Quoi de plus pathétique que la fan attitude ? Vivre pour admirer et vivre sans aspirer à être admiré, suivre sans vouloir être suivi, copier sans essayer de créer, complimenter en effaçant de plus belle sa propre personnalité, adorer aux prix de la dignité, être fidèle a défaut de fidèles, préférer l’autre aux dépens de ses propres intérêts…
Quoi de plus pathétique qu’un peuple qui suit son leader de façon acharnée, qui change d’avis à chacun des petits caprices de ce dernier, qui le suivrait jusqu’à l’enfer si le monsieur le voulait.
Quoi de plus pathétique que cette fille qui suit son mec comme un robot, qui se cache presque derrière son dos, qui le regarde émerveillée et le prie de ne jamais la quitter, qui sacrifie sa carrière et son existence pour qu’il réussisse sa petite vie, pour qu’il suive ses ambitions et qu’il mange chaud à dîner (quand il rentre), qui range son corps de mannequin dans la belle boîte des souvenirs, depuis qu’il a voulu un quatrième enfant, un fils de préférence, afin d’élargir sa prestigieuse famille.
Quoi de plus pathétique que ces figurants inutiles dans une boîte branchée de Beyrouth, qui décorent les tables de ceux qui se prennent, à tort, un peu trop au sérieux, qui ne servent à rien à part à créer l’image de popularité de leurs idoles et qui ne savent plus distinguer le vrai de l’excès.
Quoi de plus pathétique que ce garçon qui choisit une carrière dans la finance parce que c’est à la mode, parce que ça peut rapporter beaucoup d’argent, parce que les filles d’ici courent après les bankers alors qu’il déteste les nombres et encore moins les banques, alors qu’il a un talent fou qu’il n’ose dévoiler.
Rien. Rien n’est plus pathétique qu’une attitude fan. Car rien n’est plus admirable qu’une audace bien placée, une innovation dans un monde qui s’uniformise, une idée nouvelle qui vient tout bousculer, une prétention à vouloir tout changer, un envie folle de tout recommencer et une passion démesurée à vouloir soi-même briller.

Je n’aime pas être fan. Je l’aime s’il m’aime. Je l’aime autant qu’il m’aime. Fan de lui quand il est fan de moi. Fan d’un autre quand l’amour se fan-e.
Mais fan parfois. Fan d’un chanteur talentueux qui ose les couleurs pastel et les dessins naïfs. Oui, fan de ce chanteur qui chante pour des obèses et qui fait chavirer son public. Fan d’un Mika qui a tout sauf l’attitude fan car il a en lui l’envie mais surtout le don d’être différent.
Fan du succès d’une femme qui prouve qu’elle ne voit aucune limite et qu’elle ne se laisserait décourager par aucun obstacle. Fan de cette femme qui sait ce qu’elle fait. Et qui le fait si bien.
Fan d’une beauté divine qui se moque des stéréotypes d’un monde moderne parfois bien ridicule, qui reste elle-même et qui refuse la mode quand celle-ci ne se marie avec son corps.
Fan de Beyrouth, fan de ma ville qui renaît, fan de ses milles lumières et fan de ses libanais, fan d’un toit de la ville qui m’a chuchoté milles secrets, fan de son centre ville et fan de ses cafés, fan de son envie de vivre et fan de sa patience, fan de ses talents, fan de ses femmes, fan d’un mélange délicieux qui connaît mille visages… sauf le visage pathétique d’une attitude fan.
Fan. Parfois. Par choix. Quand je n’ai pas le choix.

samedi, avril 12, 2008

Pay it forward

As-tu été si heureux que tu as redouté perdre ton bonheur ? As-tu goûté à la face amère de l’amour qui est celle de la peur de le voir s’envoler ? As-tu déjà regardé le ciel pour essayer de comprendre pourquoi tu mériterais une certaine réussite ? L’as-tu quelques fois remercié de t’avoir donné plus que ce que tu attendais ? As-tu voulu très fort qu’un moment s’éternise, qu’une personne vive à jamais, qu’un silence paisible se prolonge, qu’un goût sucré n’abandonne pas tes lèvres, que le vent doux ne cesse de caresser ton cou, qu’un ami reste à tes côtés, que ta mère ait toujours les yeux illuminés, que tes enfants restent heureux, que ta réussite soit durable ?
L’échec n’est pas à craindre. La tristesse non plus. Et encore moins la peine. Car quand on va mal, tout ne peut que s’arranger. Par contre, le bonheur, lui, ne peut être apprécié complètement car il est toujours accompagné d’une menace, celle de le voir disparaître. Souvent, une voix me chuchote qu’il n’est qu’éphémère et qu’il finira par s’évanouir aussi vite qu’il n’ait apparu…
Chance, bonté divine, générosité naturelle. Malgré des efforts incessants, on a tendance à se sentir comblés par la vie. On a tendance aussi à se dire qu’au fond, on ne mérite pas tant que ça… Et puisque ce n’est pas tellement mérité, il est normal que le bonheur nous soit retiré.
Il suffirait peut-être de mériter son bonheur pour pouvoir le maintenir. Pour le mériter, il faudrait, par exemple, le payer. Le payer en donnant du bonheur à chaque fois que l’on en reçoit. Donner une part de bonheur quand le ciel nous sourit, pour parvenir, par un geste purement altruiste et idéaliste à un but égoïste et individualiste.
Que tous les heureux du monde partagent leur bonheur. Et même s’ils ne sont pas animés par cette tendance altruiste, qu’ils se rappellent le but implicitement égoïste qui sera atteint. Ainsi, une chaîne de bonheur sera créée. Par pur égoïsme peut-être mais qu’importe. Quand tu es heureux, et afin que tu le restes, paies-le. Fais-le à ta manière, fais-le comme tu l’entends, fais-le comme tu sais si bien le faire, fais-le pour être encore plus heureux.

mardi, mars 25, 2008

Ma cause justificative

Cadence. Rythme. Périodes. J’aime bien ce découpage artificiel de la vie, ces frontières imaginaires mais tellement utiles, cette organisation personnelle qui vise à être le plus productif possible. Depuis que je l’ai rencontré, il constitue l’axe principal autour duquel j’organise tout ce qui reste. Il y a lui, la catégorie principale, et tout le reste, ce que j’aime appeler les catégories résiduelles, celles qui constituaient, avant, mes priorités, et celles que j’ai rabaissé au rang de résidu.
Ma théorie, aussi, je l’ai rangée de côté. La liberté, pour moi, était celle d’être dénudé de ses sentiments. Quand on est indifférent à l’égard de tous et de tout, on peut mieux réussir sa vie car l’on agit alors et seulement abstraction faite des émotions. On agit alors et seulement… raisonnablement. Car les maux du cœur retardent souvent les projets les plus sérieux tandis que les passions amoureuses font oublier les devoirs les plus impératifs…
Et puis un jour… on aime. On aime alors que l’on s’était juré d’être au-delà de cette faiblesse du cœur, alors qu’on s’était jugé trop occupé pour vivre des aventures volatiles, alors qu’on avait des soucis qui exigeaient un travail à plein temps.
On aime… et on fait des projets à deux.
L’amour réciproque est un heureux évènement. On le croit fictif jusqu’à ce qu’on le reçoit comme un coup de poing sur la face. Et la réalité dépasse alors les créations les plus absurdes de l’esprit.
Heureux certes… Mais accompagné de deux sentiments aussi forts en intensité mais beaucoup plus amers : la tristesse de la séparation et la peur de perdre cet amour.
On se fait confiance, on se promet amour éternel, on se dit partenaires à jamais… Mais l’amour peut-il défier l’imprévisibilité de la vie, la vulnérabilité de l’espèce humaine, la force du temps, les rides de la vieillesse, les risques de maladie, l’absence prolongée, la distance insupportable ?
On s’aime tellement que l’on déclare la guerre à tous ces évènements futurs et extérieurs susceptibles d’affecter cet amour. On s’aime. Et on adopte l’amour comme cause justificative de tout crime contre l’humanité.

dimanche, mars 23, 2008

Ces amours que je ne comprends pas

Pour Elie que j’aime comme ça

Il caresse ses jambes nues. Elle ferme les yeux pour apprécier la chaleur des rayons du soleil et la tendresse de ses caresses. Elle avait besoin de soleil. Elle se sent bien à ses côtés. Elle est tellement belle. Il aimerait le lui dire. Mais il se retient. Il ferait mieux d’attendre. Il l’aime. C’est normal.

Lui, c’est un gars très populaire. Avantagé par la nature, il a la taille, les yeux, le sourire, le charisme et surtout… le talent de les faire toutes tomber. Elle est jeune, naïve et a très peu d’expérience. Certains la trouvent pourtant jolie. Elle est folle de lui. Ce qui n’étonne presque personne.

Souvent, l’amour, malgré le fait qu’il soit considéré exceptionnel par presque tout le monde, n’a rien de transcendantal. En effet, dans certains cas, il s’impose. Car il n’y a rien de plus facile que de tomber amoureux de la perle rare.

Pourtant, l’amour, le vrai, revête un aspect totalement différent. L’amour, le vrai, se concrétise dans les situations les moins élégantes. Et j’en connais quelques unes de ces plus belles histoires d’amour…

Je connais une femme sublime qui a à peine trente ans. Réussie, élégante, intelligente, blonde et pire encore… très drôle, elle est tout ce que nous, femmes, nous voudrions être, et tout ce que les hommes voudraient être avec. Depuis quelques mois, elle a découvert qu’elle était atteinte d’un cancer. Suite à des séances de chimiothérapie, elle a perdue ses cheveux. Elle reste sublime tout de même. Son homme la fixe dans les yeux, dans un de ses moments de faiblesse, lui embrasse tendrement la main, et lui dit qu’il l’aime.

Ce soir, une autre a fait un effort pour sortir. Elle se sentait malade mais ne voulait pour rien au monde rater leur dîner d’anniversaire. Ca fait un an qu’ils s’aiment. Elle fait de son mieux pour passer un temps agréable et oublier sa nausée insupportable et d’autres maux qu’elle n’arrive plus à gérer. Elle fait de son mieux pour se retenir et offrir une belle soirée à son compagnon. Jusqu’à ce qu’à bout de force, elle s’effondre sur le gazon du beau jardin d’en face de la boîte. Elle ne voit plus rien. Elle vomit. Il la tient entre ses bras. Il lui caresse les cheveux et lui souffle qu’il est à ses côtés. Il lui dit que ca ira et qu’elle devrait oublier les gens autour. Il lui dit qu’il va la ramener chez elle et qu’il passera la nuit à ses côtés. Elle se déteste pour la scène incompatible avec le romantisme de la soirée. Elle s’excuse et commence à pleurer. Il lui dit qu’il l’aime. Et qu’elle est la plus belle femme au monde…

Ces amours-là, je ne peux pas les comprendre. Je ne sais pas comment tu as pu me dire que tu m’aimes alors que j’étais dans cet état. Je ne peux pas les comprendre. Non. Mais je ne veux que vivre des amours que je ne comprends pas.

mardi, mars 18, 2008

Excuse-moi Pascal

Il vend ses tableaux pour boucler ses fins de mois. Quelques fois. C’est un architecte médiocre. Mais c’est un excellent peintre.
Certaines choses faites de côté peuvent parfois sauver l’affaire. Comme les tableaux de peintures. Et comme les exposés que l’on fait pour atteindre peut-être la moyenne quand des soucis divers et des tendances légères ont causé un échec partiel.
Je n’aime pas ces miettes que l’on peut accumuler. Je préfère la grosse réussite. Et puis c’est tout… Un immeuble bien construit, un procès gagné, bref, un travail bien fait. Quant au tableau, je préfère l’accrocher au dessus de mon lit, sur un mur qui meurt d’ennui…
Pourtant, j’avoue que ces choses-là peuvent s’avérer utiles. Voire indispensables. Il me propose de faire un exposé. Bouée de secours. Je dis oui. Car aujourd’hui, je suis cet architecte médiocre. Je suis mauvais peintre aussi.
Mais quoi transmettre quand on sait si peu ? Et quoi dire quand on ne croit même pas en soi ? Comment être crédible quand nos pensées sont douteuses ? Comment gagner la sympathie de l’audience quand on ne s’aime pas depuis quelques temps… Quand on se hait carrément.
Bref, il me propose de parler de mon stage. Sujet qu’il juge enrichissant vis-à-vis des autres étudiants. Sujet personnel. Encore pire. Je pense à Pascal qui disait si bien « le Je est détestable ». Je me permets d’ajouter, au plus profond de moi-même, en présentant mes excuses les plus sincères auprès de Pascal « Je qui se déteste a si peur d’être détestable ». Toutefois, j’acquiesce. J’en ai tellement besoin.
Parler du stage… Mais que dire quand je n’ai fait que ranger la bibliothèque par ordre alphabétique et par thème, que dire quand j’ai fait des photocopies la plupart du temps, quand j’ai traduit des documents qui ne m’inspiraient ni sérieux, ni sympathie, quand j’ai découvert la ville, ses coins, ses cafés, ses bars, ses mendiants, ses envies, ses pavés bien plus que les étagères du cabinet…
Je m’installe quand même. Je tiens quelques papiers en main, tout blancs, pour faire comme si j’avais préparé. Et je parle. Sincèrement. Car il ne me reste que cette sincérité qui ne m’a jamais abandonnée. Je raconte tout. Mes expectatives, mes fautes, mes déceptions, mes moments de solitude, mes larmes, mon envie de revenir quelques fois, la peur de l’échec, le dépaysement, les blessures, les verres en trop, les petits déjeuners à l’odeur inoubliables, les kilos de juillet, les cafés brûlant… J’ai même parlé d’Alix et d’Elise… Je dis tout. Après tout, quand on a atteint le fond du gouffre, ça ne peut qu’aller mieux.
Sourires dans la salle. Sourires ironiques, sourires amusés ou sourires sympathiques ? Je l’ignore. Sourires dans la salle. Sourire dans mon cœur. Des tableaux, j’en ferai bien d’autres… Pour les jours où j’aurai besoin d’être sauvée.

dimanche, février 24, 2008

Egoïstes

La quatrième année de droit ressemble beaucoup à la terminale dans le sens où l’on s’apprête tous à quitter la faculté et se lancer dans une nouvelle aventure, un nouveau projet, un nouveau monde. Ces quatre années, quoique agréables, m’ont semblé durer une éternité. Et voilà qu’on court tous dans tous les sens pour constituer nos dossiers, demander des lettres de recommandation aux professeurs, retirer des notes que l’on regrette déjà et écrire, sans trop de conviction et la main tremblante, à des universités à Paris, à Londres ou aux Etats-Unis, nos esprits avides de leurs enseignements.

La grande majorité de ma classe veut partir. Les élèves cherchent tous, avant tout, leurs intérêts. Construire un avenir sur une base aussi fragile que le Liban d’aujourd’hui ne fait partie d’aucun projet, ou presque. Cela consisterait à prendre un risque immesurable. Et nous avons bien appris, en droit, le sens de la sécurité.

Mes parents, eux, ont construit leurs carrières au Liban. Bien qu’ayant eu de nombreuses opportunités de quitter le pays et de réussir ailleurs, ils ne purent supporter la vie en étrangers et revinrent vite à Beyrouth apprécier les déjeuners de famille le dimanche, la messe avec les gens du village, le bonheur de saluer à droite et à gauche, tous les matin, les habitants des maisons voisines, le propriétaire de la station d’essence du coin, le maire, la femme du boulanger et le légumier. Triste, ma mère ressent une fois de plus le dilemme qui l’a envahie un jour lointain, ne sachant quoi choisir pour ses enfants, la familiarité du Liban avec tous ses problèmes ou la largeur des horizons étrangers…

Ma mère n’est pas une femme égoïste. Bien qu’elle mérite comme toute femme qui a consacré sa vie à ses enfants, de ressentir le plaisir de les voir grandir à ses côtés, bien qu’elle mérite de nous voir enfin réussir, bien qu’elle ait le droit de se reposer enfin et de nous regarder le regard fier, elle décide de nous laisser aller. Quel paradoxe libanais que de laisser partir ceux qu’on aime…

Certains croient que la fidélité à la patrie consiste dans le fait de rester au Liban, combattre pour le pays, appartenir à des partis politiques et peut-être même mourir pour sa cause… Je ne sais pas quoi en penser. Je n’ai pas le droit de juger. J’aime mon pays. Mais je ne pourrais mourir pour lui. J’aime la vie. J’aime ma vie. Celle de mes amis. Et celle de ma famille. Je préfère partir. Au lieu de mourir ici. Et dans ce cas là, mes amis et moi ferions partie d’une secte d’égoïstes. Mais l’égoïsme, permettez-le moi, ne serait-il pas plus bénéfique au Liban ?

Egoïstes, nous pousserions nos études, nous travaillerions dur, nous apprendrions des langues, nous rechercherions du travail sur un marché étranger et nous regrettions quelques fois le confort d’une maison libanaise… Mais nous reviendrions un jour, sans doute, avec ce que nous aurions appris, nous reviendrions plus vieux mais plus matures aussi, nous reviendrions bouleverser une société qui souffre d’avoir trop combattu, nous reviendrions dans notre pays avec nos expériences, nos blessures et nos savoirs, embarrassés peut-être de l’avoir laissé tandis qu’il souffrait, mais fiers d’avoir préféré la paix, nous reviendrions cette fois pour y rester, nous reviendrions toujours égoïstes… mais seulement égoïstes pour lui.

Publie dans L'Orient Le Jour le jeudi 6 mars 2008.

jeudi, février 21, 2008

Dans mon bol de fraises

Il n’y aurait mieux pour remonter le moral que de dévorer un bol de fraises. J’exécute. Je choisis même les plus rouges. Car depuis quelques semaines, ça ne va pas. Du tout même. Ma relation à distance me fait souffrir. Je ne savais pas que ce serait si dur. Le plus dur c’est sans doute de ne pas avoir une date précise de rencontre, un but, un jour j, une destination… Le plus dur c’est cette image qui me vient tout le temps à l’esprit, comme une obsession, l’image que je flotte en l’air, comme un poisson, vers nulle part. Mais les poissons ne flottent pas… Je m’énerve de lui. Comme si c’était sa faute. Je lui reproche de ne pas être là quand je me réveille, quand je pleure, quand je me plains, quand j’échoue, quand je jette mon 9 en commercial à la poubelle pour que personne ne le voit, comme si quelqu’un s’intéressait à moi, comme si ça changeait quelque chose que je n’aie pas réussi. Je lui en veux. Je lui en veux de ne pas savoir que quand je perds mon café le matin, je le retrouve toujours dans l’armoire, que je parle seule en voiture, que je pense à lui en cours et que j’ai déjà planifié nos vacances de 2012. Puis je me dis que j’ai choisi cette relation, qu’il ne m’a pas obligée, qu’il fait de son mieux, qu’il n’a pas choisi et que je ne pourrais vivre sans lui, que je l'aime, non, que je l'adore, qu'il est ma vie, ma chance… Alors je lui envoie un message qui dit je t’aime, suivi de sourires artificiels qui ne transmettent même pas la réalité, un peu pour lui dire que ça va aller…
Et puis c’est l’avenir qui me tue. La fac à laquelle j’aspirais le plus pour mon master m’a envoyé sa réponse qu’elle a rédigée avec soin. En voyant la longueur du message, j’étais sûre d’y lire un oui. C'est en mangeant mes fraises, que je compris une carence de qualifications de mon côté et un orgueil accru de l’autre… L’incertitude. Encore. Une incertitude que je déteste et que je laisse me dévorer.
Je ne crois pas que les fraises remontent vraiment le moral. Et j’en ai mangé des kilos. En plus, ce n’est même pas la saison. Alors je mange à la cuillère dans un bol de nutella que je hais d’avance et que je regrette avant même de commencer. Un souci de plus, parmi les autres, un souci aussi superficiel peut-être, mais tellement réel que je ne puis ignorer.
Il me promet de venir le week-end prochain. Ca ne sera rien que nous deux dit-il. Et moi je pense à aéroport-aéroport détestant l’entre-deux qui impliquera obligations de famille, soirées entre amis et adieu ma chérie…
Mes amis m’appellent. A chaque sonnerie, mon cœur bat fort. Je ne sais plus quoi inventer pour pouvoir passer la soirée en solo. Je n’ai pas envie de faire la conversation, d’être attentive, de donner des conseils et de les entendre dire que je suis chanceuse et que tout est parfait dans ma vie. Je n’ai pas envie de les contre-dire non plus. Je n’ai jamais pensé que les autres sauraient résoudre mes problèmes. Je les entends deja me demander comment je fais pour etre ce que je suis, pour avoir un homme merveilleux et reussir a la fac... Je m'entends deja repondre: je pleure la nuit...
L’une de mes amies m’en veut le plus. Elle dit que je n’ai jamais de temps pour elle. Elle veut qu’on prenne un café pour qu’elle me raconte l’évolution d’une relation particulière. Et j’ai hâte. Seulement, je ne veux pas qu’elle me voie dans cet état. Pas encore. Du moins, pas pour le moment. Je veux que ça passe.
Hier, il faisait froid. J’ai mis l’anorak le plus affreux en cours. Ca ne me ressemble pas. Mais je m’en fous. J’avais froid. Surtout de l’intérieur…
Pourtant, il y a certains moments que j’apprécie. Ces petits moments non planifiés entre deux cours. Sans rien se dire, on se retrouve à la même place, un banc qu’on s’est approprié. On se dit rien, on se dit tout, on s’échange des recettes de cuisine, des idées de cadeaux, on critique les gens à la fac, les toilettes, les profs, les notes, la vie, on partage les mêmes mauvaises manies et on parle d’avenirs même pas en croquis.
Son mec est là. Il l’attend à déjeuner. Hier, il a cuisiné pour la première fois. C'etait du chinois. La cuisine. Il a même dressé la table et fait de son mieux pour rendre le décor romantique. Elle me raconte, la lumière aux yeux. Je suis contente pour elle.
Et moi, je plonge dans mon bol de fraises …

mercredi, février 13, 2008

J'aurais voulu etre souris

J’ai lu un livre a morale et j’ai juré en retenir la leçon et l’appliquer à ma propre vie. Ce livre parlait de souris et de petites personnes qui avaient besoin de fromage pour vivre. Elles cherchaient sans cesse l’objet de leurs besoins et réagissaient différemment face à la carence. Les souris, quand elles avaient consommé la totalité du fromage, se lançaient au moment même à la recherche d’un nouveau fromage.
Les humains, eux, s’offraient le luxe d’un long moment de chagrin et de désespoir, suivi d’une phase d’analyse et de questionnement afin de trouver la raison de la disparition du fromage. Certains plongeaient dans la tristesse et refusaient de se relever. D’autres, après la chute, reprenaient la route pour une nouvelle chasse.
J’avais décidé d’être la souris, automate, qui ne cherchaient pas à tout comprendre mais agissaient machinalement face à une situation déterminée. J’avais décidé aussi d’être en partie l’être humain qui plongeait dans la tristesse avant de se relever.
J’avais décidé ceci alors que j’étais heureuse.
Aujourd’hui, à la première défaite après ma décision, j’oublie la morale, j’oublie le livre, et maudis mon chagrin refusant toute bataille.

lundi, février 04, 2008

De la force a vie

Une femme pleure a la tele. Le public seche ses larmes aussi. Elle a un grave probleme. Le rouge ne lui va pas. Elle ne sait pas quoi faire. Et elle demande de l’aide. Elle veut qu’on la secoure. Par quelque moyen que ce soit. On lui conseille d’opter, parmi les differentes tonalites du rouge, celle qui lui convient le plus. Elle passe de l’orange au fushia, trouve la couleur qui se marie avec la rougeur de sa peau, celle qui fait ressortir ses joues, celle qui lui colle a la peau, et retrouve son sourire.
Une autre fait sa crise aussi. Et gagne la sympathie de l’audience. Elle souffre d’un surpoids et se goinfre de chips et de gateaux mignons a longueur de journee. Elle dit son probleme grave et irremediable. Demande l’aide. On lui conseille de fermer la bouche. Et de voir son probleme regle. Elle est surprise de tant de facilite. Et trouve la solution qui lui convenait.
Je regarde des tv shows americains et je les trouve pathetiques a souhait. Faire tout un programme, inviter des spectateurs et discuter pendant des heures de couleurs et de rondeurs tandis que chez moi c’est un avenir qui se fait incertain et des nuits de plus en plus cruelles.
Je zappe. Je mets une chaine libanaise locale. Je vois l’armee victime. Je vois une femme qui pleure son mari et son fils unique. Je vois des familles demunies. Je vois des jeunes sans espoir. Je vois des femmes desesperees. Je vois la violence. La corruption. L’injustice. La carence de pouvoir. La guerre. Les fusils. Le sang. Les bombes. L’insecurite. La fatigue. L’ennui. Le degout. L’envie de mourir. La peur de passer a l’acte. L’emigration. La famine. La pauvrete. L’inflation....
Je remets la chaine americaine. Je regarde une femme qui essaie, des larmes aux yeux, les differentes tonalites du rouge. Et une autre qui decide de manger 10 sacs de chips au lieu de 15. Je ne sais pas si je dois envier leur malheur, le trouver absolument pathetique, les detester de tant de superficialite, regretter de ne pas etre nee en amerique ou me sentir chanceuse d’avoir connu les vrais malheurs pour gerer avec simplicite un gros cul et une couleur qui ne me va pas trop...
Je ne sais pas quoi penser. Mais je sais que la naissance a Beyrouth donne de la force a vie.

dimanche, janvier 27, 2008

Du conditionnel...

On sortirait. On boirait beaucoup trop. On se moquerait des gens autour. On choisirait des places a cote sur le bar. On boirait encore. On parlerait haut et fort. On se ferait observer. On serait tellement envie. On vanterait la beaute de notre couple. Tu me dirais que je suis belle. On fumerait beaucoup trop. Et on boirait encore. On se ferait virer. On rentrerait pour etre seuls. Tu me ferais a boire. Je te demanderais un cafe brulant. Un cafe noir sans sucre et tu saurais exactement ce que j’aime. Je voudrais des m&ms aussi. Tu rirais fort. Tu me lancerais le sac en preparant ma boisson. J’essayerais de l’attraper. Mais il tomberait sur mes genoux. Je le mangerais vite en choisissant les marrons. Puis les rouges, puis les verts... Tu rirais de mes manies. Tu me chercherais un whisky. J’oublierais mon cafe. On parlerait de nous. Puis des chansons sur Vh1. Je mettrais france 2 des que tu aurais le dos tourne. Tu ne remarquerais meme pas. Tu serais si saoul que tu accepterais. On ferait des projets d’enfant. Des projets a long terme. On se moquerait de la distance. On se dirait des mots doux. Tu me ferais rire jusqu’a avoir les larmes aux yeux. Tu me demanderais pourquoi je pleure. Et je pleurerais davantage. Tu me demanderais de rester. Et je resterais. Je ne voudrais jamais partir. Je te demanderais de me kidnapper. Et tu me prometterais de le faire. On rirait de nous-meme. On se dirait mille fois je t’aime. Je te demanderais comment on s’est rencontre. Et tu ferais mine d’avoir oublie. Je te tapperais jusqu’a ce que tu me raconte la meme histoire pour la centieme fois. Mes yeux brilleraient de plaisir. On s’endormirait sur le canape. Je te reveillerais pour que tu ailles au bureau. Je te ferais des oeufs et un cafe. Tu avalerais tout d’un coup pour ne pas etre en retard. Je te suivrais jusqu’a la porte et te demanderais de ne pas tarder. J’irais dormir quelques heures de plus. Je me sentirais coupable d’avoir ce luxe. Je t’attendrais. Et tu reviendrais vers 18h.
On sortira. On boira. On se moquera des gens au tour. On s’installera sur le bar. On boira encore. On parlera haut et fort. On se fera observer. On le saura. On aimera. On critiquera le monde. On parlera de nous. Tu riras de mes faiblesses. Je te ferai dire que tu m’aimes. On verra tes amis. On echangera des regards complices. On parlera en meme temps quelques fois. On dira des conneries. Je te regarderai jusqu’a ce que tu sois mal a l’aise. Mes yeux brilleront de malice. On rentrera pour etre seuls.
On est la. Devant la tele. Moi mon cafe. Toi ton whisky. On parle de notre soiree. On se regarde sans parler. On se tient la main. Tu me dis que tu m’aimes. Je souris. Je suis heureuse. Je ferme les yeux un moment. Et je remercie la vie.
On passerait, on passera, on passe du conditionnel, au futur, au present.

J'ai fait un reve

Je ne peux expliquer le sentiment de tristesse qui m’envahit a chaque fois que je prends l’avion. Je peux encore moins l’expliquer quand je ne pars que pour quelques jours, puisque je reviens et que je n’ai aucune raison d’etre triste. Mais ca ne rate pas. A chaque decollage, mon coeur se fait lourd et des questions existentielles me viennent a l’esprit. Je n’ai pas peur des avions. J’ai fini par les apprivoiser pour accepter le metier de mon pere qui est pilote. Mais des que je m’eloigne de Beyrouth, je pense a la vie, a la mort, a la guerre, aux martyrs, au Liban, a Beyrouth, a ma famille, a mes freres, a ma soeur... Et puis j’arrive a destination, je m’eloigne des nuages, et les nuages de ma vie disparaissent aussi.
Le lendemain, j’ai beaucoup dormi. Plus qu’il ne faut. Et a mon reveil, j’avais recu plein de messages de mes parents et de mes amis au Liban qui me disaient qu’ils allaient bien et qu’il ne fallait surtout pas que je m’inquiete. Ce qui me fit rire. Pourquoi m’inquieterais-je ? Et pourquoi tous ces messages d’un coup ?
Je prepare longuement mon cafe. Je le bois lentement. Et mon cerveau commence enfin a fonctionner. Je realise que si j’ai recu tous ces messages a la fois, c’est qu’il doit bien y avoir une raison. Quelque chose s’est sans doute passe au Liban. Quelque chose de mauvais. Une guerre. Ou une explosion. Je ne prends pas la peine de mettre la tele. Les images sombres et saignantes se ressemblent a chaque fois. Ils vont bien tous. Je n’ai pas besoin d’en savoir plus. C’est suffisamment douloureux.
Je replonge sous mes couvertures. Je pleure comme je n’ai jamais pleure au Liban. Le sentiment de culpabilite me devore. Je veux etre la-bas aussi. Je sens la trahison et je la supporte a peine. Il est beaucoup plus dur de se sentir en securite. Comme il est difficile d’assumer le calme. Je veux etre a Beyrouth. Avec mes parents. Et a force d’y penser, de me hair, de regretter de ne pas avoir assiste au drame, je m’endors.
Et puis je fais un reve. Un reve paradoxal car dans mon reve se melaient serenite et angoisse, danger et securite, joie et tristesse.
Dans mon reve, j’ai senti l’odeur delicieuse des crepes preparees par ma mere, odeur qui se degage gracieusement de la cuisine pour atteindre ma chambre et me reveiller en douceur. Mais dans mon reve, j’ai egalement ressenti la nausee de chaque explosion.
Dans mon reve, j’ai senti tellement fort la securite d’un diner en famille, mon pere vantant un fruit ramene d’un pays lointain et moi reveuse faisant mine d’approuver. Mais dans mon reve, j’ai autant ressenti le desespoir d’une vie sans issue car dependante de jeux criminels.
Dans mon reve, j’etais moi-meme, pleine d’ambitions et de projets. Mais j’etais aussi cette fille vulnerable qui a peur du lendemain.
Dans mon reve, j’etais morte. Comme mon pays. J’etais transportee dans un autre monde ou l’on ressent ni danger, ni douleur, ni bonheur, ni plaisir, ni envie, ni peine, ni froid, ni chaud, ni ambition, ni tendresse. Un autre monde vide et monotone. J’etais rentree sur terre pour quelques secondes afin de dire a mes parents que j’allais bien.
J’ai fait un reve affreux. Car j’etais loin de ceux que j’aimais. Dans un monde sans danger peut-etre. Mais un monde insupportable dans lequel on est prive meme du droit de se donner la mort. Et avec tout le paradoxe de mon pauvre pays, oh que je prefere risquer ma vie rien que pour y ressentir peines et amours.

samedi, janvier 26, 2008

Sur le banc arriere

Une fille pose sa tete contre la vitre. Elle regarde du coin de l’oeil la ville endormie. Elle y voit des couleurs, des formes incertaines, des gens comme elle, des bars qui se ferment, des boulangeries qui sentent le travail et le pain chaud, un enfant qui dort sur le trottoir... Elle reflechit a sa vie. Elle n’en conclut rien. Non. Il est trop tard pour reflechir. Mais elle pleure. Elle sait qu’elle a le droit de pleurer. Lui, il ne dit rien. Il la regarde de temps en temps mais elle ne remarque meme pas. Il veut la consoler. Mais ca ne fait pas partie de son metier. Alors il continue la route. Doucement. Et lui met un peu de sa musique preferee.
Un homme arrange sa cravatte. C’est son troisieme entretien en une meme journee. Et c’est comme ca qu’il a passe ses derniers mois. Il en a marre d’etre au chomage. Il stresse a cause des routes embouteillees. Il lui demande d’accelerer. En vain. Il lui demande d’arreter. Il paie. Descend nerveusement de la voiture. Claque la porte. Presse le pas. Mais pas trop. Il ne veut pas arriver desordonne. Il prie tout en marchant. Il prie que son rendez-vous aboutira. Et qu’il trouvera enfin son chemin.
Un couple se dispute sans relache. Le garcon la traite de tous les noms et lui dit qu’un jour il va avoir le courage de la quitter. Elle lui dit qu’il est trop lache pour cela et que de toute facon il n’est rien sans elle. Elle lui rappelle qu’elle lui fait la cuisine, le menage, l’amour. Elle lui dit aussi qu’elle constitue toute sa vie sociale. Il lui crie qu’elle est toute sa misere et qu’il la hait autant qu’il aime. Elle crie a son tour. Ils crient. Ils ne se soucient pas de la personne devant. Cette personne qui s’identifie a leur vie. Sa vie qui ressemble tellement a celle qu’il ecoute discretement...
Une fille verifie qu’elle a tous ses papiers. Passeport, ticket, visa, tout est la. Elle quitte pour de bon. Elle a le coeur lourd mais elle a choisi sa carriere. Choisir son mec alors que leur relation est encore instable aurait constitue une decision trop volatile. Et elle est serieuse la fille. Son mec est a ses cotes. Il lui demande si elle serait reste s’ils etaient maries. Elle lui sourit. Sourire qui veut peut etre dire oui. Il plonge alors sa main dans sa poche. Il en ressort une alliance. Il lui ouvre la main. Y pose un tendre baiser avant de lui faire glisser l’alliance au doigt. Elle est emue. Et perdue. Elle vient d’accepter une offre a saisir. A New York. Mais ses larmes lui brouillent la vue. Et les pensees. Elle dit oui. Elle embrasse sa bague. Et demande au chauffeur de faire demi tour. Ouvre la fenetre. Jette ticket, passeport, visa.
Une etudiante fait des efforts pour se faire comprendre. A peine une semaine qu’elle est la. Elle n’a pas encore appris la langue. Et encore moins l’accent. Elle pose des millions de questions et se demande ce qui l’attend, qui elle pourrait rencontrer et si elle serait accueillie. Il la console gentillement. Et lui dit qu’il y a dix ans il etait etranger comme elle. Et qu’aujourd’hui il s’en sort pas mal. Elle lui dit merci...
Elle lui fait un signe de la main pour l'arreter. Elle s'assoit et lui dit qu'elle ne sait pas ou aller. Il ne comprend rien. Il lui demande de specifier. Elle lui dit qu'elle s'en fout, qu'elle lui paiera autant qu'il faudra. Qu'elle ne veut pas rentrer dans cette maison vide depuis que ses enfants ont grandi et que son mari n'est plus la. Elle lui dit de rouler. Aussi loin qu'il voudra. Et qu'au bout du trajet, elle trouvera un autre comme lui, qui essaiera aussi, a travers les paysages qui defilent, de lui redonner la vie. Depuis qu'elle ne la ressent plus... la vie.
Un chauffeur de taxi. Il en connait des vies. Il a assiste a des divorces, a des demandes en mariage, a des disputes, a des reconciliations, a des remises en cause, a des doutes, a des amours, a des retrouvailles.
Et a travers son retroviseur, il devine reves et regrets.

mercredi, janvier 23, 2008

Si la vie etait un concert

J’etais contre l’idee d’y aller... Faire quatre heures de route pour assister a une heure trente de concert ne me semblait pas etre une idee geniale pour notre premiere soiree. Pour pas le contrarier et apres avoir innocemment tente de le lui faire oublier, je le suivis, trainant les pas, pour nous rendre a un concert qu’il appelle historique.
Il avait reserve les meilleures places. Et a le voir surexcite, j’ai ressenti un peu cette jalousie enfantine qui me devore et que je gardis bien sur pour moi. Jalouser Elton John serait completement absurde. Et meme peut-etre... interdit.
Arrives, je ne pus m’empecher de le regarder d’un regard severe qui veut tout dire. Car franchement, les longues routes me donnent la nausee depuis que je suis petite et voir le chanteur sur un ecran plus petit que notre tele ne fit que ressurgir en moi l’inutilite grandiose de ce concert. Lui, il me regardait d’un regard fier de quelqu’un qui vient d’avoir la meilleure idee du monde. Il s’attendait a ce que je lui rappelle qu’il etait un mec genial d’avoir prevu ce programme pour notre soiree. Ce que je fis... A contre coeur bien sur, surtout pour lui faire plaisir. J’aurais prefere mettre le dvd d’Elton et etaler paresseusement mes jambes nues sur une table qui se moque sans doute de notre nonchalance quelques fois, souvent, souffrant des verres d’alcool qui laissent des traces humides, des magots de cigarette qu’on fait mine de ne pas voir et des restes de nourriture qu’on gardera jusqu’au lendemain matin... Ou celui d’apres. On le voyait sur un tout petit ecran. Et rien ne prouvait que sur la scene, il y etait vraiment.
Mais bon, j’y etais. Avec lui. Et c’etait l’essentiel. Il chantait les paroles qu’il aimait tout en m’expliquant a l’oreille le sens et le contexte pour me faire ressentir l’emotion du moment et avouer la grandeur du spectacle.
Je ne connaissais que les chansons classiques d’Elton. Et j’ai realise qu’il y avait tellement de belles choses que j’ignorais et que ce qui est populaire n’est pas necessairement ce qui comporte le plus de talent.
Il y avait l’harmonie du groupe entre le chanteur et ses musiciens. Il y avait l’harmonie du pubic, tous chantant en meme temps, tous repetant la meme chose, tous balancant les hanches, tous portant au-dessus de leurs tetes des telephones portables pour leur lumiere quand autrefois on portait des bougies ou pour tenter d’eterneliser une partie de l’Histoire de la musique. Et de l’Histoire tout court.
Entre ces deux harmonies, une harmonie fusionnelle. A chacun de ses gestes, les corps chaviraient. Et a chacun de nos applaudissements, une voix angelique s’elevait.
Un concert... preuve que des milliers de personnes de nationalites et d’origines differentes pouvaient se retrouver en meme temps, au meme moment, pour le meme but. Un concert... preuve que des milliers de personnes a avis et a vies differentes pouvaient se mettre d’accord sur le point qu’il s’agit d’un don de dieu et qu’ils sont venus l’approuver.
Un concert... preuve que les gens peuvent s’entendre... ne serait-ce que sur la musique. Et meme sur la musique.
On ne le voyait que sur ecran. C’est vrai. Mais il etait venu pour nous. Et nous pour lui. Et c'est l'essentiel.
De lui, une certaine energie se degageait. Et je l’ai ressentie dans le corps et dans le coeur.
Je ne pouvais que remercier, dans le silence le plus intense, mon copain de m'y avoir emmenee.
De derriere, je pouvais observer toute la foule. Les gens avaient les epaules collees, les corps en mouvement uniforme et les mains qui applaudissaient de facon synchronisee.
De derriere, je ne pouvais qu’etre sure que la vie serait parfaite... si la vie etait un concert.

dimanche, janvier 13, 2008

Je veux tout

Il paraît qu’il faut avoir beaucoup d’argent pour faire de l’argent. Il paraît qu’il faut souffrir pour le premier million, et que les millions qui suivent sont naturellement créés. Mais comment faire le million sans un million ?
Il paraît qu’il faut avoir de l’expérience pour trouver du boulot. Mais comment gagner cette première expérience sans expérience ?
Il paraît qu’il faut avoir un bon diplôme pour postuler à une bonne maîtrise. Et une bonne maîtrise pour un bon diplôme. Comment avoir ce diplôme sans diplôme ?
Il paraît qu’il faut un bon job pour un bon master. Et un bon master pour un bon job.
Je ne sais pas si c’est le monde qui est de travers. Ou si je n’ai tout simplement rien compris de l’affaire…
Je ne sais plus ce qui vient avant quoi, comment y arriver et par où commencer. Travailler puis étudier, le contraire, rien du tout, ou les deux à la fois.
Remplir des papiers pour les voir revenir par courier. Envoyer des mails à de fausses adresses. Lire sur des sites dépassés et postuler après le délai. Pleurer sur un tas de papiers, y renverser une tasse de thé et s’endormir dessus une fois esquintée. Crier au téléphone sur des amis qui ne comprennent pas que je n’ai pas perdu la tête, ni le sang froid mais les deux à la fois. Ne pas fermer l’œil de la nuit car penser à des petits oublis, attendre le matin pour faire des coups de fil et éclaircir le chemin, tout déchirer et recommencer, retaper des phrases tordues à remplacer par des mots crochus, rire de soi quand on n’y croit même pas, essayer pour plaire à ma mère et pour calmer une conscience qui me reproche de ne rien faire, sentir la fatigue m’envahir et se surpasser rien que pour souffrir, oublier de manger jusqu’à avoir la nausée, rire d’un état qui ne fait que se détériorer, réfléchir à un week-end promis et se demander si c’est bientôt fini mais replonger la tête dans un travail qui ne dépend que d’un hasard, imaginer l’année prochaine ne sachant comment finir la semaine…
Se réveiller et se dire que c’est une nouvelle journée. Vouloir croquer la vie, le jour, la nuit, l’appeler et lui crier ‘je t’aime’ puis raccrocher et recommencer quand même.
Les étapes s’entremêlent, se confondent, se marient, se couchent… Tout et rien à la fois. Je veux tout. Même si je commence par rien du tout.

vendredi, janvier 11, 2008

A coeur ouvert

J’ai toujours apprécié la réussite, les yeux remplis d’admiration mêlée d’une pointe de jalousie. Une admiration qui me pousse à doubler d’efforts. Une légère jalousie qui me retarde quelque fois quand je regarde autour de moi pour voir où sont les autres et où j’en suis…

J’ai toujours eu la volonté de réussir et l’audace nécessaire. Car la réussite procure en plus de la reconnaissance générale et du respect, une certaine satisfaction personnelle d’une intensité immesurable qui, elle, fait naître un amour de soi et une confiance très particulière.

J’ai toujours été attirée par ceux qui réussissent, par leur intelligence, leur témérité, leur persévérance et encore une fois et surtout… par leur audace. L’échec momentané, occasionnel, accidentel est, certes, inévitable. Mais cette réussite qui affirme la démarche et redresse légèrement le bout du nez tout en ajoutant une lueur dans les yeux rend, tout simplement… irrésistible.

Je lisais, pensive, rêveuse, détachée un cours de droit bien retenu quand une voix sereine mais déterminée m’attira jusque devant le poste de télé. Un jeune médecin parlait de médecine et exposait sa découverte sur un éventuel traitement du cancer qui remplacerait ceux utilisés aujourd’hui et éliminerait les effets secondaires par eux provoqués.

Je n’ai rien compris des détails de l’affaire, du schéma exposé, du processus et des molécules à combattre et ce que les souris venaient faire dans l’histoire. Je ne sais pas si c’est parce qu’il parlait de médecine, métier tellement respectueux et louable, si c'est parce qu'il etait tellement jeune ou si c'est parce qu'il etait tellement libanais… j’ai senti la réussite. Et j’ai aimé. Une opération à cœur ouvert … que mon cœur a appréciée.