mercredi, août 29, 2007

Resto libanais, avenue Victor Hugo

Je me suis toujours sentie trop libanaise aussi bien au Liban qu’à l’étranger durant mes vacances, mes voyages et mes stages en Europe. Je le dis tout le temps, je l’expose, je l’affiche, je le crie. J’aime être cette femme à la fois orientale et ouverte à l’occident, indépendante mais parfois conservatrice, maîtrisant trois langues au moins mais ayant cet accent libanais qui rend les mots élastiques et bien prononcés. J’aime avoir les yeux grands et bien marron, les cheveux balayés de mèches faussement blondes pour leur donner un éclat de soleil, les ongles bien vernis comme toutes les libanaises, des habits à la mode et cette attention accrue que l’on donne à notre physique. J’aime être une fille ambitieuse qui veut réussir, qui refuse de se trouver un homme trop riche et trop vieux, qui ne voit aucune limite à ses études et qui ne remarque aucune des éventuelles restrictions sociales. Je veux être bien dans ma peau, bien avec mon mec, heureuse de parcourir le monde avec lui, indifférente aux critiques, rebelle aux traditions et aux stéréotypes des études à 23, du travail à 24 et d’un mariage classique à 25 suivi – ou pas – d’un divorce à 30.
Je veux être une femme indépendante qui se concentre sur sa carrière sans laisser tomber sa vie amoureuse, qui n’a pas peur de vieillir sans s’être mariée et qui ne se voit pas imposer l’obligation de fonder une famille dans l’immédiat, qui veut former un couple réussi avec tous les préliminaires nécessaires, qui se concentre sur un équilibre professionnel d’abord, ensuite sentimental, ensuite familial…
Oui je veux être différente. Car je ressemble aux femmes de ma génération. Je ressemble beaucoup aux libanaises que l’on voit à Londres, à Paris, à New York et à Tokyo, à quelques unes au Liban aussi, qui se savent fortes et réussies, qui apprécient un cocktail entre filles, un voyage entre copines, une cigarette en solo, une promenade avec des inconnus, des rencontres incessantes, des contacts qui ne font que s’élargir, des amis un peu partout, des expériences nouvelles, des nuits tristes, des verres en trop, des matins difficiles, des soirées dans un bureau, des anniversaires passés seules, un salaire trop juste, une robe hors de prix, des talons qui se cassent en courant pour rattraper le bus qui s’en va, un chapeau que l’on ne pourrait mettre au Liban sans échapper à des critiques libanaises trop pathétiques mais trop… libanaises.
Oui, je veux être différente. Différente sans oublier d’être libanaise. Je veux une vie réussie qui se résume par carrière, amis, mari, famille… Progressivement.
J’aime ma vie de libanaise épanouie. J’aime pouvoir parler de tout sans avoir peur d’un regard dur et trop oriental. J’aime être à Paris sans devoir abandonner certaines de mes valeurs conservatrices. J’aime changer de vie, d’habitudes, de sorties. J’aime pouvoir explorer de nouveaux horizons, découvrir de nouvelles possibilités et trouver l’éventualité d’une vie au Mexique tout à fait raisonnable. Oui, je veux me débarrasser de ces idées que j’avais cultivées en croyant être moderne mais en étant au fond une femme libanaise comme les autres qui ne rêvent que d’être, un jour, bonne mère. Car je veux avant tout conserver… ma vie de femme.
En attendant de me lancer dans de nouvelles études, de m’installer avec mon mec, de trouver un job bien payé, de voyager partout dans le monde, j’apprécie un bon déjeuner en compagnie de trois amies françaises dans un resto libanais avenue Victor Hugo.

Publié dans L'Orient Le Jour le vendredi 31 août 2007

jeudi, août 23, 2007

Ce week-end, à Londres...

Réveil en vitesse, des traces sur le visage qui dévoilent des draps froissés et de la fatigue démesurée, mon sac ouvert pour accueillir des vêtements pour la soirée, mon café bu d’un coup comme pour bousculer une journée que je voudrais brûler, des cheveux longuement lissés qui gonflent à cause d’une pluie inappropriée, le bus très ponctuel rien que pour me faire rigoler, le cabinet inchangé qui ne remarque pas un enthousiasme que je sais par mon regard froid bien cacher, des heures qui s’allongent rien que pour m’embêter, mes doigts qui traînent sur le clavier, mes yeux fixés sur un écran très ennuyé, mon repas rapidement avalé, quelques mots complices avec une stagiaire qui connaît mes pensées, un appel que je reçois pour me signaler qu’un avion est en train de décoller, mon ventre qui fait ces bruits étranges du passé, dans ma tête une préface du week-end à passer, mes fesses qui se plaignent d’être tout le temps sur cette chaise collées, mes jambes stressées que je n’arrive à calmer, un cadran de montre qui semble s’éterniser, quelque part dans le ciel un mec partageant mes pensées, quelque part à Londres des trottoirs à apprivoiser, demain un matin à ses côtés, dimanche soir le même danger d’une séparation difficile à gérer, dans quelques heures un voyage en train aussi ennuyant que cette morose journée, mais plus tard dans la soirée son rire pour me faire oublier, ce week-end volé après des mois l’un de l’autre séparés…

dimanche, août 19, 2007

Un dejeuner avec lui

Il est huit heures du matin. Je suis déjà réveillée. Je suis réveillée très tôt pour un samedi. Hier, j’avais pris la précaution de bien fermer les volets. Il fallait que je m’offre une bonne nuit de sommeil après une semaine bien fatigante.
Je ferme les yeux comme pour tromper mon corps très bien éveillé. Je tire sur mes paupières comme pour les forcer à rester fermées. Puis je me lasse de ce jeu inutile et décide de sortir hors du lit. Mais que faire alors que la ville est encore couchée ? Je décide de faire le linge, la vaisselle, le repassage, le ménage jusqu’à trouver l’heure décente et pouvoir enfin sortir. Mais je travaille rapidement – c’est une qualité que j’ai gagné de ma mère – et en moins d’une heure, j’avais tout fini. Je fais les cent pas en attendant son appel. Aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec lui.
Je prends mon téléphone et tremble un peu. Je me demande si je devrais l’appeler ou le laisser dormir. Je décide d’attendre un petit peu. Je prends ma douche et j’enfile les habits que j’avais choisis hier soir. Je me demande s’il va me trouver bien. Je me demande si je n’ai pas grossi un petit peu depuis que j’habite seule et que je mange n’importe quoi pour gagner du temps…
Il est treize heures. Il m’appelle enfin. Il me dit de venir : chambre 2143, méridien, montparnasse. Je quitte tout de suite. Au métro, je fixe la ligne représentant la succession des stations. Il m’en reste 6. Je suis impatiente. Je stresse. Je me demande si ça se voit sur mon visage que j’ai un rendez-vous important. Je décide d’écouter de la musique mais j’enlève vite les écouteurs. Aujourd’hui, la musique ressemble bien plus à du bruit.
J’arrive enfin. Je sors de la station. Je me dirige vers l’hôtel. Je presse le pas. Je ne veux pas courir. J’imagine ma démarche, trop rapide et trop lente à la fois, rapide instinctivement, lente car je veux qu’elle le soit et je me dis que le résultat doit être bien ridicule et bien représentatif de mon dilemme.
Je suis dans l’ascenseur. Avec deux autres personnes. J’ai l’impression qu’elles me fixent trop. Je me demande si elles peuvent lire dans mon corps trop agité, dans mon cœur trop bouleversé, dans mes yeux prisonniers de la cabine, que j’ai un rendez-vous important. Je me regarde dans le miroir. Et puis je me dis qu’elles ne me regardent que parce qu’il est difficile de regarder ailleurs dans un espace d’à peine un mètre carré. Peut-être plus. Peut-être moins. Je n’en sais rien…
J’arrive devant sa porte. Je tape. Il ne répond pas. Dix minutes plus tard, la femme de ménage me conseille de taper plus fort. Je tape plus fort. J’entends sa voix qui me demande de patienter. Encore… Et je patiente.
Il m’ouvre. Il n’a pas changé. J’ai le cœur qui bat et le sourire qui se dessine le plus naturellement du monde. Je le regarde. Il est toujours le même. Il a toujours ce même visage réconfortant, le sourire de quelqu’un qui aime, l’attitude décontractée et la mine trahissant de longues heures de voyage. Il y a de petits cadeaux déposés sur le lit et sa valise est encore ouverte sur le sol. Son cœur est ouvert aussi.
Je m’approche de lui. Je lui fais un petit bisou rapide. Je le serre fort mais timidement. Je n’arrive pas à lui dévoiler davantage. Je suis un peu embarrassée par cet excès d’amour. Je ne me comprends même pas…
On déjeune. On discute. Je l’écoute surtout. Je l’aime. Je ne veux pas qu’il s’en aille. Pas tout de suite. Je commande une entrée. Un plat. Un dessert. Un café… Histoire de le retenir le plus longtemps possible.
J’ai réussi à entretenir une très longue conversation. Mais à un moment donné, il a fallu qu’on se quitte. Je l’ai serré aussi fort que j’ai osé et je lui ai dit combien je l’aimais et combien mes deux frères et ma sœur l’aimaient aussi. J’aime quand mon père vient à Paris…

mardi, août 07, 2007

Pendant ma pause déjeuner...

Aujourd’hui, j’ai décidé de profiter de ma pause déjeuner pour m’acheter quelques bouquins. Sauter un repas pour avoir le temps de choisir des trucs à lire me semblait être une bonne affaire. Ce matin, à travers la vitre du bus, j’ai aperçu une librairie pas très loin du bureau. J’essayai de me rappeler où elle se trouvait et trouvai rapidement mon chemin.
A l’intérieur, il fait froid. Dehors aussi d’ailleurs. Le soleil imposant m’a bien trompée. Car ici, il s’entend bien avec une très basse température.
Je fais des tours inutiles et parmi des centaines de bouquins, les ventes de la semaine, les coups de cœur du libraire, les nouveautés, les best sellers et les classiques, je ne pus faire mon choix.
Je continue ma ballade dans des rayons vulgaires car trop chargés, lourds de mots souvent grossiers, maladroits car permettant à Nothomb et à Molière de se côtoyer. Je regarde autour de moi pour voir ce que les autres choisissent. J’observe une fille qui doit avoir mon âge pour savoir ce qu’elle aime mais elle finit par serrer son bijou proche de son cœur et par me regarder d’un regard furieux de tant d’indiscrétion. Et elle a raison. Ce qu’on lit ne regarde personne. Heureusement.
Je ne sais pas quoi choisir. Ma pause est bientôt finie. Je ne veux pas rentrer sans avoir quelque chose à lire pour ce soir. Et pour demain soir. Et pour les soirs à venir. Et pour les parcs de Paris. Et pour le métro. Et pour l’avion qui va m’emmener en Espagne. Et pour la plage de là-bas. Et pour la plage d’ici. Mais quelle plage ? Qu’est-ce que je raconte…
Je ferme les yeux et je touche des livres posés sur une table basse. Ces livres que l’on expose et que l'on vante car l’on croit qu’ils seront vite achetés. Je passe mes doigts sur leurs couvertures et essaie de deviner leurs contenus. Rien ne me plaît.
Je vais visiter les livres délaissés. Ceux que l’on condamne à rester cachés. Je laisse mes yeux courir sur les étagères et passer du A au S au W. Quelqu’un fait comme moi. Je respire l’odeur du papier neuf. Il en fait de même. Je lis les titres. C’est comme ça que je choisis mes livres. Parfois. Je lis la dernière phrase, discrètement. Je la lis en cachette car elle me semble interdite. Il me regarde du sourire malin de celui qui sait. Je déteste qu'on me viole ce plaisir de tricher. Cette dernière phrase est souvent énigmatique-pathétique. Elle est parfois inachevée. Elle semble presque toujours vouloir surprendre. Je choisis celles qui ne veulent rien prouver. Je choisis ces livres qui se terminent par « et puis je fais mon café », ou « hier, je l’ai embrassé » ou encore « je ne sais pas ce que je vais faire de ma journée ».
Heureuse d’avoir trouvé ce qui me ressemble, des livres qui racontent des histoires non dignes d’être racontées car banales comme la vie de tous, je les enfuis au fond de mon sac. Je serais furieuse qu’on me demande ce que je lis. Car je ne lis jamais les ventes de la semaine, les coups de cœur du libraire, les nouveautés, les best sellers et les classiques. Je lis plutôt ces livres oubliés… Des livres pour lesquels je sauterais bien ma pause déjeuner.

mercredi, août 01, 2007

Une modeste expérience

Nous recherchons tous l’expérience. Car l’information seule ne suffit jamais. Elle peut venir erronée, subjective, incomplète, faussée, relative. Il faut tenter pour savoir. Essayer pour comprendre. Etre blessé pour faire plus attention. Agir pour retenir. Et heureusement que tout est expérience.
Comme tout le monde, suivant les conseils de mes proches, le parcours de personnes ayant réussi, les directives de sites Internet trop parfaits, je décide de faire un stage pour avoir une idée de ce que c’est que travailler, toucher du doigt le milieu professionnel, côtoyer des personnes qui se trouvent là où je voudrais arriver, développer le sens de la responsabilité, remplacer mes journées paresseuses sous le soleil par des journées longues et fatigantes, parfois moroses et parfois plus gaies, mais presque toujours très enrichissantes.
Je croyais que l’expérience que j’allais éventuellement acquérir sera puisée sur un bureau trop sérieux à mon goût, parmi des gens trop ambitieux, dans un environnement incompatible avec ma définition de l’été… Je croyais vraiment que c’est en matière de Droit que j’allais surtout évoluer. Et ce n’est pas tout à fait faux. Car j’ai beaucoup appris, en effet (ce qui n’est pas très dur vu que je ne savais pas grand-chose). Oui j’ai acquis une expérience. Mais une expérience quelque peu différente.
Car j’ai appris dans la rue, devant des cartes trop sales de métro, en attendant un bus qui n’allait jamais venir (bien sûr puisque ce n’était même pas le bon arrêt), en discutant avec une assistante qui travaille bien plus (et sait parfois beaucoup plus) que certains avocats, en riant avec des inconnus qui allaient se perdre dans le chaos de la ville aussitôt notre échange éphémère achevé.
Oui, j’ai appris en bavardant avec des stagiaires venant des divers côtés de la France et connaissant le Liban presque aussi bien que moi.
J’ai appris en marchant toute seule dans des quartiers parisiens espérant bêtement tomber sur une tête familière jusqu’à apprécier une ballade solitaire.
J’ai appris en voulant très fort revenir à Beyrouth et en réalisant que ce n’est qu’un coup de tête et que je suis bien ici même seule, même fragile, même on ne peut plus libanaise.
J’ai appris que j’ai beau être étrangère, jeune, insouciante, tête en l’air et – je l’avoue – un peu gâtée, je dois me débrouiller toute seule et que tout le monde est comme moi en fin de compte.
J’ai appris que tout est question d’apprentissage. Et que si je ne comprends rien aujourd’hui, demain ça ira mieux.

Paru dans L'orient Le jour le mardi 21 aout 2007