jeudi, août 12, 2010

Le goût du thym sauvage.

Ma première expérience de la liberté fut à un très jeune âge. Quand ma mère travaillait, elle déposait mes frères, ma sœur et moi chez ma grand-mère. Et j'avoue qu'il n'y avait rien de plus amusant.

Parce que chez les grand-mères, les règles n'existent pas. La liberté est poussée à l'extrême, et même si elles étaient strictes avec leurs propres enfants, elles deviennent tolérantes avec leurs petits enfants. Tout est permis. La glace, les chocolats par dizaines, les randonnées dans les bois, les soirées tardives, le bruit, le bricolage, les jeux qui salissent la maison, la peinture sur les murs et sur le sol etc.

Ma grand-mère nous emmenait faire des promenades, cueillir des coquelicots et des cyclamens, manger des framboises sauvages et des pommes arrachées directement à l'arbre, tremper nos pieds dans la rivière, ramasser des coquillages et des pierres de toute sorte. Elle connaissait le nom de toutes les fleurs et était aussi impressionnée que nous par les objets sans valeur trouvés dans la forêt. Souvent, on allait à la recherche du thym sauvage pour le sécher au soleil sur une table couverte d'une nappe blanche, le mélanger avec des grains de sésame et enfin le mettre dans un bocal.

Les grand-mères savent ce qu'aiment les enfants. Et surtout... elles gardent ces aventures secrètes et cachées des mamans.

A Londres, les enfants ne semblent pas avoir cette chance. Parce que je ne vois jamais des coquelicots, ni du thym sauvage, ni des coquillages, ni des grand-mères... A ma pause déjeuner, je me suis assisse sur un banc en face de la porte principale du bâtiment gris et imposant dans lequel je travaille. La responsable de la garderie promène les enfants des banquières qui n'ont personne pour s'en occuper. Elle les tient avec une laisse accrochée au poignet.

Ces enfants-là n'ont aucune liberté. Et leurs promenades se limitent à un aller-retour pathétique en face de l'entrée. La laisse me révolte. Mais je comprends son utilité. Elle protège les enfants de tout danger extérieur.

La liberté est en effet très dangereuse. On grandit avec l'impatience de l'acquérir dans son acceptation la plus poussée. On grandit avec l'envie indomptable d'être indépendant financièrement, libre de faire ses propres choix, et léger comme l'air.

Mais la liberté est beaucoup plus difficile que ce que je m'imaginais... et parfois, j'aimerais bien avoir une laisse autour du poignet. Parce que plus on est libre, et plus on est exposé aux erreurs. Plus on est indépendant, et plus il faut assumer ses fautes. Plus on est maitre de ses décisions, et plus on en est responsable.

La liberté cause des griffes sur les genoux.

Pourtant... même si elle fait peur, même si elle est parfois difficile à supporter, même j'ai souvent envie qu'on décide à ma place, même si je voudrais parfois retourner chez mes parents, sous leur toit qui me protège et leur œil tendre et protecteur, même si j'aimerais pouvoir dire aux gens qui me blessent que je vais tout raconter à mon père et qu'il leur donnera une bonne leçon, je ne pense pas que je pourrais m'en débarrasser. Parce que la liberté s'apprivoise. Et le danger est intoxicant. Et surtout parce que j'ai vu les coquelicots. Et parce que j'ai dans la bouche, depuis un très jeune âge, le goût du thym sauvage.

lundi, août 09, 2010

Malgré tout.

Un samedi soir… Une soirée spontanée pendant laquelle tous les plans tombent à l’eau pour laisser place à d’autres qui s’avèrent encore mieux.

Il fait beau à Londres. Et c’est déjà exceptionnel. D’abord les retrouvailles avec mes copines après nos vacances respectives. Ensuite des cocktails. Très bons. Aux fruits et à la glace. Assez d’alcool pour mettre de bonne humeur et pour donner le sentiment que le weekend dure cent ans.

On discute, on rit. Une conversation mène à une autre et je ne puis me souvenir exactement du fil d’idées qui nous a menés au sujet complexe des relations abusives. De ces femmes nombreuses, et d’hommes qui se retrouvent dans des relations déséquilibrées et abusives où l’équilibre fait défaut et l’abus constitue la règle du jeu.

Pourtant, si j’ose dire, on est joyeux et de bonne compagnie en général. Mais derrière les paillettes et les robes estivales qui laissent montrer des jambes nues et bronzées, de vraies identités corrompues par trop d’années d’études ne peuvent s’empêcher de parler sérieusement.

Chacun lance un mot, et on commence à réfléchir aux raisons qui poussent les gens à sombrer et nager dans ces relations malsaines qui poussent à la dépendance. Parce que l’abus, apparemment, comme la drogue, l’alcool, le chocolat et la cigarette, rend accro.

Cette réalité me sembla aberrante à premier abord. Je ne puis comprendre qu’on puisse s’installer dans une situation inconfortable. Et même plus, comment on pouvait accepter qu’elle commence au départ. Où serait la volonté ? La force de personnalité ? L’indépendance dans tout ca?

Les raisons en sont diverses. La peur de la liberté. De ne pas pouvoir survivre en tant qu’individu en société. La dépendance financière. La pression sociale dans certaines sociétés qui discriminent les femmes libres et libérées. L’habitude. La conviction que les choses se passent ainsi et que c’est la norme. L’amour. L’Amour.

Elles se retrouvent à pleurer. A être malheureuses. A se plaindre. A se jurer qu’elles vont faire leurs valises, partir, loin, là-bas, s’échapper du monstre, s’envoler, être enfin heureuses, recommencer une autre vie, faire de nouveaux amis, se changer la coupe de cheveux, le style, faire des études, se trouver un emploi, trouver une identité, tout oublier, voler, planer, danser.

Mais elles restent. Un mot gentil et tout est pardonné. Une caresse et les violences diverses sont envolées. Une promesse et les mensonges sont effacés. Un cadeau et la maltraitance n’a jamais existé.
Leur entourage leur donne des conseils. Les gouvernements créent des organes divers qui interviennent pour les sortir de leur état de détresse. Mais dès qu’on blâme le partenaire abusif, elles se retrouvent à le défendre de plus belle, comme un toxicomane en rechute. Comme un chat sort ses griffes. Comme un chat tout court.

Et ce phénomène écœurant, révoltant et triste me semble tout à coup familier… Car j’en ai vécu, une relation pareille, aussi. Mais dans mon cas, avec mon pays.

Un Liban qui n’offre aucune sécurité. Qui blesse et qui assassine famille et amis. Qui ne procure aucune sécurité financière. Qui nous chasse l’un après l’autre avec le fardeau énorme de la culpabilité. Qui nous trahit par des liaisons diverses. Avec les voisins en plus… Qui nous manipule et qui nous bouge comme des pions de table. Qui met nos enfants en péril. Qui joue avec nos sentiments. Qui est presque tout le temps violent. Qui manque à toutes ses responsabilités de protecteur.

Mais j’en suis dépendante. Dépendante et accro dans ma dépendance. Je le critique inlassablement et je me promets de partir à jamais. Vers de nouveaux horizons peut-être. Toujours là-bas où la Terre serait plus verte…

Et pourtant. Dès qu’on ose le critiquer… Dès qu’il est temps de passer à l’acte dans un mouvement ferme et irréversible… Dès que l’occasion de le pointer du doigt et de le déclarer coupable se présente… Je sors les griffes. Je me souviens de ses promesses… De ses gens. De ses rues encombrées. De ses plages. De son café… De son charme désordonné mais fou. De ses mouvements voluptueux. De ses formes généreuses. De ses fruits au goût réel. Et surtout… du sentiment de sécurité paradoxal qu’il procure.

Malgré tout.