vendredi, février 16, 2007

Jamais banalisée

Nous réagissons face à tout phénomène nouveau. Nous nous méfions de l’inconnu. Nous nous protégeons de l’étranger. Nous nous indignons quand nous jugeons une chose contraire à nos mœurs ou incompatible avec nos valeurs.
Or quoi de plus alertant qu’une bombe. Quoi de plus choquant que des morts par dizaines au quotidien. Quoi de plus révoltant qu’un élève innocent soit assassiné du seul fait qu’il ait choisi d’emprunter, comme tous les jours, à la même heure, son bus d’habitude pour se rendre à la fac. Quoi de plus triste qu’une femme soit tuée alors qu’elle avait choisi un moyen pratique et économique pour pouvoir visiter sa mère. Quoi de plus dégoûtant qu’un homme ait perdu la vie en se dirigeant au travail pour la gagner. Quoi de plus déprimant qu’un adolescent ayant fait confiance en l’Etat et en la sécurité qu’il instaure en choisissant ses services publics ait été gravement blessé.
Ce sont des images vues à la télé, des images de citoyens libanais, des images de libanais innocents, pacifiques, impuissants, victimes. Ce sont des images comme tant d’autres, qui relatent explosions, décès, sang, pleurs, orphelins, injustice. Des images qui se répètent inlassables, se faisant à chaque fois plus violentes, plus tragiques, plus cruelles mais surtout plus normales. Oui, normales. A force d’observer bombes et crimes, le paysage s’est fait habituel, la scène sans grande importance, la mort facile.
L’habitude de la mauvaise nouvelle a eu pour effet de la banaliser. Il suffit de zapper, de changer le cours de la discussion, de penser à autre chose, de détourner le regard afin que l’image disparaisse. La mort s’est fait si fréquente qu’elle ne provoque plus la réaction qu’elle mérite. Impuissant, le citoyen libanais semble accepter son sort et restreindre la gravité du problème.
Il m’est facile de zapper. Plus difficile de réagir. Je sais ma réaction pathétique et minime. Mais je n’ai pas le droit d’habituer mes yeux à ses crimes. Même répétés, ils ne feront jamais partie du domaine de l’admissible. Même en quantité, ils ne reflèteront jamais mon quotidien libanais. Même anonymes, ils n’échapperont jamais au jugement sage des bons citoyens que nous sommes. Tant que nous refusons de banaliser l’image véhiculée, nous ne serons pas en danger.


Article publie dans L'Orient Le Jour le samedi 17 fevrier 2007

3 commentaires:

Anonyme a dit…

:) wlc dans ze club des publiés ;)

mon premier etait en 2004 pour dénoncer la réelection de lahoud

maintenant je me sens completement blasé...
a quoi ca sert encore de dénoncer ? rien de change, les mêmes restent toujours au pouvoir

Anonyme a dit…

PS:
un vieux texte que j avais écris sur ce voyeurisme ... mortel
http://lebanon.typepad.com/frencheagle/2006/12/le_voyeurisme_l.html

Karen Ayat a dit…

Merci pr tes comments
jai lu ton texte... Jaime bien la facon simple et claire proche du lecteur avec laquelle tu relates une chose dangereuse...
Merci encore..
Sincerement,
karen