mercredi, octobre 28, 2009

Essuyeur de glaces

Lui, c’est le plus silencieux. Je le vois souvent sans vraiment l’aborder. Il a de ces regards qui intimident et une attitude d’observateur concentré qui me ramène illico quelques années en arrière, en juin plus précisément, mois pendant lequel, au lieu de profiter du soleil et des vagues, j’espérais du fond du cœur, faisant des allers retours nerveux dans le couloir de ma fac de droit, tomber sur un chapitre que j’avais bossé. En d’autres termes, il est tout simplement sombre… Et malgré la curiosité qu’il provoque en moi, cette envie de tout savoir de lui, de ce qui le rend triste a ce qui le fait rire, je l’évite comme s’il m’intéressait le moins de tous. Je me suis souvent demande si c’était un jeu qu’il jouait, une image qu’il se donnait, pour jouer l’inaccessible, le mal compris, l’artiste, le fort, le sensible, l’invincible…
Un jour, au tournant d’une conversation banale comme toutes celles qui meublent les dimanches après-midi, ces conversations qui n’ont aucun sens et qui seraient effacées en premier si on devait trier notre vie, on s’amusait à confronter nos rêves d’enfant à notre situation d’adulte. Bien sûr, il y eut le pompier, le pilote d’avion, l’astronaute, le chercheur, le scientifique, le top model, l’artiste, l’acteur, l’écrivain, la styliste… Bref, ces métiers qui ne sont pas de vrais métiers en réalité, mais des passions que les plus chanceux réussissent à rendre rémunératoires. Mais aujourd’hui, ces rêves d’enfant avaient laissé place à des occupations ordinaires, routinières et parfois… décevantes. Celle qui rêvait d’être top model était devenue nutritionniste, celle qui voulait être chanteuse a découvert un peu tard qu’elle n’avait pas la voix et était devenue architecte, l’acteur a laissé place au banquier, l’astronaute était devenu médecin etc etc …
Lui, comme d’habitude, restait silencieux. Il écoutait d’un air ennuyé. Il a fallu qu’on le lui demande pour qu’il nous fasse part de ses jeunes ambitions. Petit, il voulait devenir essuyeur de glaces. La confession nous fit rire… Mais lui, ne riait pas… Il était sérieux. Quand il était tout petit, il s’asseyait par terre et regardait l’homme qui nettoyait leurs vitres énormes typiques dans l’architecture anglaise. Il observait la transformation de la vue floue à la vue claire et éblouissante qu’offrait une vitre propre et se disait que ce métier était fantastique. Il voulait faire ca lui… rendre les choses plus belles. Et pour lui qui ne sortait jamais, les choses étaient plus belles quand les vitres étaient propres…
Aujourd’hui il était devenu banquier. Et de la vitre de la banque en pleine capitale, la vue était rarement étincelante, souvent brouillée. Les gens étaient trop occupés pour nettoyer. Il ne rend pas la vue plus belle, ni la vie plus claire… les autres n’étaient pas devenus chercheurs, écrivains, pompiers, mannequins… Et lui… n’était pas devenu essuyeur de glaces.

2 commentaires:

Karl a dit…

superbe

Karen Ayat a dit…

merci karl :)