vendredi, octobre 23, 2009

Le monsieur d'en face


Chaque jour, je me réveille à la même heure. Tôt. Le matin est mon moment préféré de la journée. J’aime le silence religieux qui le règne, l’espoir qu’il procure inlassablement, chaque jour, la surprise du temps qu’il fait qu’il porte, et la promesse qu’il fait, qu’il tient parfois et qu’il trahit souvent… Mon voisin d’en face, lui, partage ma passion. Celle des matins. Et naturellement, sans aucune programmation préalable, on se retrouve, à la même heure et au même endroit, face à face, une tasse de thé bien protégée par deux mains tièdes de la nuit, regardant par la fenêtre l’évènement de la journée : le lever. Je n’ai jamais su si, comme moi, il se réveillait de bonne heure ou si, comme tous les vieux de son âge, il ne dormait jamais.
Moi, je passe des heures à fixer l’extérieur, à humer ses odeurs, à le redécouvrir de plus bel. Lui, se lasse avant moi, prend son journal, pose ses lunettes à mi- nez, et balbutie quelques paroles que je ne puis comprendre mais qui m’intrigue vraiment. Ensuite, il disparaît. Je n’ai jamais su ou il s’en allait. De ma fenêtre, je n’ai accès qu’à la pièce du petit déjeuner.
Je l’ai aperçu quelques fois sur le toit de sa maison. Il nettoie, il décore, il arrose ses roses, il refait la peinture. Il y accorde une telle précision qui me fait rire et pitié à la fois. Pourquoi décorer quand on est seul tous les jours et que personne ne vient visiter ? Drôle et triste question à la fois…
Je pense souvent à lui. A son histoire. A ce que cet homme qui a plu de cent ans a pu faire dans la vie, s’il a été quelqu’un pour quelqu’un, s’il a eu des enfants et ou sont-ils, s’il a eu une femme et pourquoi il a l’air de l’attendre, si elle l’a aimé, écouté, trahi… Et j’admire sa patience, j’admire sa persévérance qui lui permet de défier chaque jour qui vient, de le bien vivre, comme par vengeance. Je connais son histoire. Chaque matin, on partage le petit déjeuner…
Je n’ai jamais su s’il savait la mienne. Mon histoire. Et je me le suis souvent demandé. J’en avais un peu envie, pour vous dire la vérité. Envie que la relation soit réciproque et non sur lui dirigée. Mais j’en avais un peu honte aussi. Et je rougissais à l’idée.
Un jour, une fois ma tasse de thé terminée, je décidai de sortir. Et une fois dans la rue, je me retrouvai face a face a mon voisin. C’était la première fois que je le voyais en vrai. Spontanément, on se serra la main. Il me sourit avant de partir de son coté, la canne a la main, le chapeau sur la tête. Moi, seule, je souris aussi. Il connaissait mon histoire. On partage le matin.

2 commentaires:

Zeina a dit…

Les histoires de vieux sont toujours très touchantes.Celle que tu viens de décrire l'est en particulier parce qu'elle donne de l'espoir.
Je prends beaucoup de plaisir a lire ton style sincère et profond.Il dévoile une personne raffinée et honnête.

Karen Ayat a dit…

Merci beaucoup Zeina. Ca me touche ce que tu me dis.
Je suis heureuse de pouvoir partager des pensees pareilles avec toi, je parlais d'espoir en effet...