mardi, septembre 14, 2010

Complicité

C’est une ville qui veut accélérer le rythme de la vie. Comme si celle-ci n’était pas assez rapide de nature. C’est une ville où les salades sont à emporter, les déjeuners à même les bureaux entre deux emails, les verres avalés avec des collègues en dix minutes chrono pour un but autre que purement altruiste, le métro plus rapide que l’éclair, les mots en monosyllabes, les bonjours hâtifs et les vêtements achetés en ligne.

C'est une ville où l'on trouve à peine le temps d'appeler ses parents. Juste assez de temps pour leur dire "je vis".

Le matin, les gens courent. Tous. Comme si des quelques minutes gagnées (ou perdues) dépendait leur destin. Et quand tout le monde court, j’ai du mal à ralentir le pas. J’entre dans la course. Mais paresseuse de naissance et libanaise de sang, je suis perdante toujours.

Le retour du boulot est le plus douloureux. Parce que mes yeux compétitifs et mauvais perdants veulent bien prétendre être dignes de ce rythme, mais ils se referment inlassablement et naturellement… malgré tous mes efforts de concentration.

Puis je cours. Je cours pour rentrer. Je cours pour gagner quelques minutes de sommeil. Dont dépendrait aussi mon destin.

Un feu rouge m’empêche de traverser. Et je lui en veux. Mais qu’est-ce que je lui en veux de me voler ces secondes précieuses. Pourquoi à mon tour? Surtout que lui s’en fout… il n’a même pas à se déplacer. Il reste immobile à longueur de journée. La belle vie.

Alors je regarde autour de moi. De force puisque je ne peux traverser. Il fait bon. Un vent léger qui caresse au lieu de fouetter. Un ciel presque rose pas encore, dans la nuit, plongé. Des arbres. Des immeubles à l’architecture immaculée du temps où les gens… prenaient leur temps. Des cabines téléphoniques rouges à carreaux qui souffrent de solitude depuis que les téléphones courent aussi.

Sur les poteaux, le signe cc de coco chanel, du temps où quand on aimait, on l’exprimait partout dans la ville. Du temps où quand on aimait, on le criait.

Des gens qui courent. Qu’est-ce qu’ils sont ridicules. Marchez …

Des enfants qui reviennent de l’école vêtus d’uniformes bleus marine superbes, de képis, de cravates, de chemises blanches d’un blanc du plus propre repassées avec une patience paradoxale qui saute aux yeux. Des enfants qui sans doute racontent à leurs mères pressées les moindres petits détails, de la jolie maitresse à la petite chipie.

En face, la rue où habite mon premier amour. Celle que j’évite chaque jour, gracieusement, presque instinctivement, par le plus grand des détours.

Sur le sol et dans un coin discret, un mendiant qui, comme moi, observe les gens brûler le temps qui passe. Et se bruler les doigts avec. Un mendiant qui, lui, au contraire, ralentit le temps. A la bouteille.

Et puis le feu. Toujours là, debout, immobile, ne se lassant jamais de la comédie. Et venant de m’offrir, depuis des mois, mon premier moment de lucidité. Entre le poteau et moi, un tout début de complicité ...

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