vendredi, septembre 09, 2011

Les lunettes

J'avais dix ans. Le jour où j'appris l'horrible nouvelle. Que pour voir la vie, il me fallait des lunettes.

Ma mère me prit en acheter. Encore sous le choc, et aveuglée par les gouttes dans les yeux, je choisis une paire qui me sembla plutot jolie. Ce n'est que plus tard que je decouvris qu'elle etait le sujet favori de mes camarades de classe les moins gentils.

Bref. Une fois de retour à la maison, ma mere décida d'appeler mon père lui annoncer la mauvaise nouvelle. Il etait à Toulouse en training d'Air Bus.

Mon père refusa d'y croire d'abord. Sa réaction me laissa perplexe parce que je ne comprenais pas pourquoi mes parents y voyaient une catastrophe.

Je sortis au balcon découvrir le pouvoir de cet objet étrange qui maintenant s'était installé sur le bout de mon nez.

Nous habitions alors une jolie maison au bord de la mer. Et du balcon, j'observais tous les jours l'horizon. Pour rêver. Pour écrire. Pour saluer mon père qui attérissait sur Beyrouth.

Mais ce jour, le paysage fut, à ma grande surprise, un peu different. Parce que je découvris pour la premiere fois qu'on avait installé, en pleine mer, une ile.

Je criai aussi haut que mes poumons me permirent. Mes frères, ma soeur et ma mère se précipitèrent pour en connaitre la raison.

Et quand ils apprirent ma découverte, je pus lire dans leurs yeux quoique amusés, un brin de pitié.

L'ile avait toujours existé.

Maintenant, je vois tout. Ou presque. Et je peux t'assurer, mon cher père, que l'ile dans ta mer comble mon horizon. Je la vois. Même sans lunettes.

On s'asseyera dessus. A six. Patients et sages. Jusqu'à ce que passe l'orage.

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