dimanche, décembre 12, 2010

Mon ange de Liverpool Street

Je crois que je vieillis. Parce qu’à peine minuit passé, mes yeux commencent à se refermer et mon lit devient ma plus grande obsession. Ceci dit, il est souvent difficile de s’échapper, quand nos amis beaucoup plus énergétiques, crient fièrement que la nuit vient de commencer. The night is young, and so are we… disent-ils. C’est bien. Mais moi, je veux rentrer me coucher.

Je feins un passage urgent aux toilettes, j’emporte mon sac et je m’éclipse. Je fais souvent cette petite comédie pour prétendre le lendemain un certain malaise récurrent. Les samedis soirs.

Une fois dehors, le froid pénètre ma peau jusqu’à mes os. Il fait -6 degrés. Peu importe. Il fait tellement froid que quelques degrés en plus et en moins ne pourraient faire la différence.

Je cherche un taxi. Mais la période des fêtes cumulée au fait que c’est samedi rend la mission impossible. Dans ma robe inappropriée pour cette période de l’année, je tremble et je prie qu’un miracle se produise pour que je puisse rentrer.

Trente minutes s’écoulent et je suis toujours là, immobile, gelée, tremblante, ridicule, sur un croisement de rue qui me semble complètement délaissé. Aucune voiture, aucun signe de vie, même pas un bruit.

Je veux appeler un taxi, mais la batterie de mon téléphone meurt pour se joindre au sommeil de la ville. Mes pieds me font mal, j’enlève mes chaussures. Tant pis pour mes collants.

Plus les minutes passent et plus je commence à désespérer. Et entre retourner vers la boite joindre mes amis dans un autre monde et contempler le vide, j’opte pour le second choix.

Je fais une prière opportuniste – je ne prie que quand il s’agit d’une urgence – pour qu’un ange apparaisse… dans un black cab.

Et surgissant de nulle part une voix que je n’attendais plus me sortit de ma détresse.

C’était celle d’un homme qui passait. Il me soupira avec un sourire complice qui comprenait tout que mes chances de trouver un taxi là où j’étais étaient complètement nulles. Il me proposa de marcher avec lui vers une rue qui - selon lui - était remplie de taxis.

Suivre cet étranger en plein milieu de la nuit, dans une ville déserte et en tenue légère relevait bien évidemment de la pure folie. Mais je n’avais pas le choix. Et j’avais mal aux pieds.

Je l’ai suivi. Il parlait. Je ne l’écoutais pas. Il rigolait. Je ne comprenais pas. J’avais peur. Et j’avais toujours mal aux pieds.

Quelques mètres plus tard, il m’a fait découvrir l’emplacement secret des taxis du samedi soir. Il me souhaita une bonne nuit. Et il disparut aussi subtilement qu’il n’avait apparu. Il m'avait aidee comme ca. Par pur altruisme. Sans demander mon nom, mon numéro de téléphone, mon adresse. Sans même s’attendre au moindre remerciement. Mon ange de Liverpool Street.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Mademoiselle,
Cette aventure sur Liverpool street me laisse reveur et pensif.
Et permettez-moi, au hasard de l'echange electronique, de vous faire part de l'essain d'impressions et de souvenirs qu'elle a (cette aventire,sic) succites.
Paris, de longues annees deja, un matin d'hiver, des ces matins froids et presque bleus, ou le grix s'impregne, sur les trottoirs, sur les humeurs, et habille le visage des passants.
Un matin force, apres une longue nuit a jouer aux cartes, a boire du whiskey sans glacons, et a manger des sandwiches mal enroules de papier jaunatre, le tout coiffe de milliers de cigarettes et de cendriers qui rechignent a se desemplir. Un matin force donc, par des formalites administratives, dernier rempart d'une republique egalitaire aux jeunes universitaires exiles, et notre dernier rempart avant le laissez-aller total, sans responsabilites aucunes, des etres de plaisir purs, denues de sens a trop en jouir.
Me voila donc marchant, place victor hugo mais -hola! la journee s'annonce dure en labeur (sic), alors autant prendre des forces a mon cafe fetiche, le scossa. "Cafe!" . Mais me voila assis, fumant, gris du visage, et le lourd poids de toutes ces longues soirees d'exces, des plaisirs sans fin, rarement gagnes, toujours offerts comme de soi, eh bien ce poids me courbe l'echigne et m'enveloppe d'une tristesse seche, tenace- et soudaine. Debout, elle me pursuit. Rue Myolis, elle me poursuit. Plus tard, avec les "chabebs", elle me tient encore. Quelques miserables heures et c'en est trop deja-car j ai le sentiment certain qu'elle ne me lachera plus-qu'ele ne me laissera pas m'echapper pour redevenir et etre d'insouciance et de present.
Je marche donc, les yeux hagards, quand mon regard s'attarde sur le bus, qui vient de s'arreter. 52 ou 22, surement, celui de la fin de l apres-midi, encombre de mamies du 16eme au caddie leger, d'enfants de janson-et plein a craquer, comme a son habitude. Sur la vitre, j'ai vu une femme-non! je n ai vu que des yeux de femme. Et un sourire. Et ces yeux m'ont souri, d'un sourire gai et joyeux, espiegle et franc a la fois, enjoue et tendre.
Le bus etait longtemps parti, et les traces de son diesel etaient a present inodores quand bien meme je souriais encore- la tete dans les nuages et le coeur leger.

Mon point- ou comme disent nos hotes les anglais "my point": ce ne sont quand dans les gestes sans but aucun, sans attente, sans consequences, que l'on retrouve la seule chose que nous perdons tous les jours- (cf "complicite"/altruisme)-
notre humanite.

Karen Ayat a dit…

Cher Monsieur,
Alors comme ca, vous ne me dites plus "tu"? Et moi qui pensais que "tu dis tu a toutes les personnes que tu aimes, meme si tu ne les as vues qu'une seule fois".
Ne m'aimez-vous plus?

Votre histoire me donne froid, puis me rend triste, puis me fait sourire.

Parce que les exces je les ai connus aussi. Et la tristesse qui vient apres, surtout le lendemain, aussi. Comme une claque. Et l'on se presse alors de continuer dans son exces, de rester anesthesie, loin de la realite. Et comme vous le dites, le fait qu'ils ne soient pas merites rend le plaisir a double tranchant... et les deux cotes de l'extreme tres sombres et tres pesants.

Je me suis imaginee dans ce bus sur Victor Hugo, place que je connais tres bien. Je me suis imaginee devant Le notre, a sourire a un passant, en connaissance de cause de l'audace et de la lachete du geste. Lache, puisque fugitif. Puisque je m'echappe et avec moi le diesel.

J'aime tes histoires. Et moi je ne puis que te dire tu, pour respecter ta demande. J'aime ce que tu me racontes et je regarde la vie avec des jumelles (a l'envers) depuis que je te connais.

Tu me manques. Et surtout notre echange purement altruiste.

Salut.

Anonyme a dit…

Mademoiselle,

Quelle heureuse coincidence (s'il en est) que vous citiez les mots de ce Poete, car, la encore (decidement, c est une heureuse(?) habitude) vous faites rejaillir les flots- ou n'est-ce que l'ecume?- de mes souvenirs, des "gravats de ma memoire".
Car, hier encore ("j'avais vingt ans")...non...d'abord la decouverte, faite a travers un vieux CD verdatre, griffe, dans la pile-de-derriere (celle des CD "parents"), d'un disque de chansons de Montand - et d'une chanson en particulier -et de son texte si simple, mais si pur, si beau, si vrai...ah! je relis la couverture...texte et paroles de...ah!...je comprends...je l'avais oublie celui-la...
Et j'ai fait ces paroles miennes, et cette chanson devint, longtemps durant, mon hymne a l'Amour, mon requiem a l'Amour, a tous les amours, de leur eclosion violente jusqu'a leur lente agonie, de leur entrees majestueuses au son des tocsins, a leur fuite eperdue aux cris de coyote. Je l'ai gardee au chaud, secrete, comme un tresor cherit, a l'abri de mes compagnes, de peur qu'elles ne comprennent, ou pis, qu'elles ne comprennet pas.
Je la chantais, dans la rue, dans ma tete, ou a haute voix, chez moi- de joie, d'espoir, de tendresse, et parfois de melancolie.
La fougue m'entrainait, soudain, et les feuilles mortes prenaient un air de samba saccadee, avec des relents de "che-che-che".
"Deux cafes" comme vous dites avec un degout et un mepris justifies, et les feuilles mortes devenaient Wagneriennes (et tout et tout-la caisse pour cheval blanc et les aleas de ma mode du jour pour armure de circonstance).
Au son de cette melodie, sans cess remodelee a mes humeurs, combien ai-je cru aimer, vaniteux jeune homme en qui la seve de la conquete et du trophee brulaient d'un feu ardent.
Combien ai-ju cru aimer l'Amour lui-meme, quand de mon arrogance et de ma confiance sans limites, jeune Cesar de comedie, je l'insultais sans arret.
Des feuilles mortes conjuguees, encore et toujours, au gout du jour certes, mais tous les jours durant.
Des feuilles mortes qui ne m'en tiennent pas rigueur pourtant. Car je me surprends, tout en vous ecrivant, a les fredonner en VO-
Et mes sourcils se levent legerement et mes yeux s'ecarquillent,
Salut.

Karen Ayat a dit…

"Combien ai-ju cru aimer l'Amour lui-meme, quand de mon arrogance et de ma confiance sans limites, jeune Cesar de comedie, je l'insultais sans arret."

Comment savoir alors ?